Dr Alou Barry, premier nutritionniste noir africain de l’Institut de recherche sur les carnés de Moscou

Depuis son retour au Mali, son pays natal, en 2000, l’expert en biosécurité des aliments plaide pour la création des postes de contrôle des denrées alimentaires à toutes les frontières du pays bien avant ceux de la douane. Rencontre avec l’un des bâtisseurs du Mali.

Douze ans. C’est le temps qu’il a fallu patienter pour que le jeune « Badra » empoche son doctorat en Sciences alimentaires. Revenu au Mali en 2000, il va gravir les échelons en passant du ‘‘recalé à la clef de voute’’. Sa vie, il la raconte avec une voix modulée en pensant à sa grand-mère, morte alors qu’elle n’avait pas encore goûté au fruit de sa souffrance. « Elle m’appelait Badra et très souvent Inakâ Alou. Hélas ! Elle est partie sans que je ne puisse la revoir pour une dernière fois. »

Alou Barry nous livre cette histoire dans son bureau, à la Cellule technique du Codéveloppement (CoDev). Une structure qui mobilise les compétences techniques et financières de la diaspora pour le développement local. Il la dirige depuis mars 2017. Coordinateur de projet Codev, expert en nutrition, « j’ai formé plus de 1500 femmes et jeunes à la transformation alimentaire dans plusieurs villages des régions de Mopti, Ségou, Sikasso, Koulikoro et Bamako. Parmi eux, j’ai installé et équipé en matériels 100 femmes ».

A Kourouninkouto, commune située à 105 kilomètres de Kita à l’ouest de Bamako, tout comme dans plusieurs villages du Mali proches des frontières avec la Mauritanie, Alou Barry a fait construire des écoles, des centres de santé communautaires, des périmètres maraîchers, des micro-barrages et des châteaux d’eau avec l’appui de partenaires extérieurs. « Ce que Barry a fait, franchement c’est inoubliable », témoigne Mamadou Kéita, un natif de Kourouninkouto interrogé par JSTM.

Pour Barry, « ce sont de telles actions qu’il faut mener pour un nouveau Mali. » On se souvient d’une de ses déclarations dites au Symposium malien des sciences appliquées tenu à Ségou l’an dernier. « Le ciment tue », a-t-il insisté dans son exposé, suscitant un moment de silence dans la salle. Tout l’auditoire attendait qu’il développe cette affirmation.

Avec le Directeur de l’Institut panrusse Gorbatov de recherche sur les carnés, Andrei Lisitsyn – photo d’archive.

 

« Au lieu d’aller dans l’immobilier en dépensant plusieurs centaines de millions dans le ciment et autres, nous sommes un pays agricole, pourquoi ne pas aller à la terre ? », s’interroge le chercheur. « Des gens injectent 200 à 500 millions dans la construction d’un seul bâtiment dont l’investissement est difficile et long à amortir. Si vous mettez cette même somme dans l’agriculture, vous créez une chaîne de valeur, en ayant un impact sur la vie des populations grâce aux emplois que vous allez générer. C’est l’un des meilleurs moyens de lutter pour une sécurité alimentaire et participer au développement de notre pays », a détaillé Dr Barry.

« L’aliment de demain c’est le manioc »

Dr Alou Barry Spécialiste en nutrition

Dure réalité

Fin des années 1999. Alou Barry quitte la Russie. Il est major de sa promotion à l’Institut Polytechnique de Krasnodar et de la Biotechnologie Appliquée de Moscou, et est récompensé avec le diplôme rouge, donné qu’aux très excellents étudiants.  Le natif de Ségou revient au Mali avec son Ph.D (Doctor of Philosiphy) en Sciences alimentaires obtenu à l’Institut National « Gorbatov » de la recherche scientifique sur les carnés en Russie. C’était à l’époque (1995) le premier noir à entrer dans cet institut. Barry abandonne toutes les options d’offres d’emploi qu’on lui avait proposées en Russie, en Allemagne et en France pour faire sa demande d’entrée à l’Institut d’Economie Rurale (IER).

« J’ai demandé un stage, mais on me l’a refusé parce que je n’avais personne au sein de l’institut, aucun parent, aucun ami », se désole Alou Barry. Pour rappel, c’est la triste réalité que vivent beaucoup de jeunes diplômés au Mali. « Les relations valent mieux que les diplômes », chante-t-on.

Alou Barry devient, en l’an 2000, chercheur à l’IER au laboratoire de nutrition. Il commence une dure vie d’ouvrier de labo mais très vite, il rafle (2001) le poste de chef d’unité nutrition et obtient 12 millions FCFA, suite à un appel à candidature du « Delta du Niger », pour réaliser une étude sur ‘‘l’utilisation du Cassia tora dans l’alimentation humaine et animale’’. « A l’époque 12 millions étaient vraiment énormes pour une étude », rit-t-il.

Depuis quelques années, l’expert en nutrition milite pour le concept « Bien manger, pour mieux vivre » et pour le développement de l’utilisation du manioc au Mali et est prêt à partager avec qui le veut, son expérience. « L’aliment de demain c’est le manioc », défend le chercheur distingué de la médaille du Chevalier de l’Ordre National.

Dr Alou Barry, élevé au rang de Chevalier de l’Ordre national du Mali, le 7 janvier 2023. A Gauche, Alhamdou Ag Ilyène, ministre des maliens de l’extérieur.

Contrôle

Plaidant pour une alimentation humaine saine et variée et pour un contrôle alimentaire strict, cet enfant d’une fratrie de dix, né d’une famille de paysans est nommé Chargé de mission des questions de l’enfance au ministère de la pro- motion de la Femme, de l’Enfant et de la Fa- mille, de 2004 à 2006. Puis Directeur national de la promotion de l’Enfant et de la Famille pendant six ans (2006 et 2012).

A la tête de cette direction, Alou Barry a réussi à conduire le parlement des enfants maliens aux séminaires de haut niveau à New York sur les droits des enfants auprès du Comité des droits de l’Enfant des Nations Unies. « On était devenu une référence en matière de protection de l’enfance au point où des experts du Burkina, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, du Niger, du Burundi, du Bénin venaient s’inspirer de l’exemple du Mali », se souvient-il.

En un peu près de trois décennies, l’expert anime des conférences nationales et internationales au cours desquelles, il ne manque d’attirer l’attention des décideurs politiques sur la qualité des aliments importés et produits au Mali. « Ce que nous consommons contient la plupart du temps, des pesticides, des aflatoxines, et d’autres composés chimiques toxiques pour la survie des Maliens. »

Alou Barry assure, l’ouverture des postes de contrôle des aliments aux frontières du Mali bien avant les postes de la douane évitera de laisser entrer sur le territoire des aliments non conformes. A cela il lance un appel à la communauté scientifique malienne « battons-nous pour avoir des laboratoires dignes de ce nom. Non seulement pour faire la recherche, mais pour la protection de nos populations. Car de la même manière que les armes tuent, les microbes aussi tuent »

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Cet article a été rédigé par le journaliste  M. B et édité par Tchêtché A., éditeur d’articles à Sciences de chez Nous (SDCN). Cet article a été approuvé pour publication par la rédactrice en cheffe de Sciences de chez Nous, Fatimatou Diallo. 

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2 commentaires
  1. COULIBALY FANTA dit

    J’apprécie beaucoup Dr BARRY car il est gentil,généreux, le mot me manque pour lui classer en vrai dire.C’est un vrai intellectuel et j’aimerai bien
    collaborer avec lui. On peut l’imiter mais jamais l’egaler . Qu’Allah lui accorde une longue vie pieuse dans la santé!

  2. Seydou Dembélé dit

    Il est trop gentil

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