Comment l’insémination artificielle révolutionne l’industrie bovine au Mali

L'utilisation de l'insémination artificielle comme outil d'amélioration génétique des races bovines au Mali a donné un nouvel élan aux élevages laitiers. Mais, les coûts élevés liés à la fourniture de semences aux éleveurs, ainsi que les aléas climatiques, ont incité le pays à envisager de nouvelles mesures de soutien pour cette industrie en plein essor.

L’essentiel

  • L’insémination artificielle améliore la production laitière au Mali malgré les coûts élevés et les défis climatiques.
  • Le Centre national d’insémination artificielle forme des techniciens et soutient les éleveurs.
  • Le Mali prévoit de devenir autosuffisant en semences d’ici 2025 pour réduire les importations laitières.

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© Un article écrit par : Mardochée Boli et financé par Afrique Agriculture

« Le premier essai a été un véritable succès », se souvient Abdoulaye Touré, 70 ans, éleveur de bovins à Kabala, un quartier périphérique de Bamako. C’est en 1996 qu’Abdoulaye a commencé à pratiquer les premières inséminations des 20 vaches zébu peules qu’il détenait à l’époque.

Aujourd’hui, il possède 170 vaches métisses obtenues après insémination avec des spermes de taureaux Montbéliarde et Holstein qui lui permettent d’obtenir, en moyenne, 1524 litres de lait par jour.

Comme Abdoulaye, un nombre croissant de pastoralistes maliens se tournent vers l’insémination. Ainsi, entre 2015 et 2022, plus de 80 000 vaches ont été inséminées dans le pays. Diakaridia Traoré, directeur général du Centre national d’insémination artificielle animale (Cnia), a qualifié ce résultat de «salutaire» lors d’une interview tenue dans son vaste bureau vitré, offrant une belle vue sur l’espace de recherche agronomique de Sotuba, situé dans la commune 1 de Bamako. 

Sa mission à la tête de ce centre est de coordonner toutes les activités de l’insémination artificielle (IA) au Mali. Une pratique à laquelle font recours «près de 5000 éleveurs chaque année» dont «99% se concentrent sur la production laitière». Cependant, «la disponibilité de la semence (le sperme des taureaux, ndlr) ainsi que les changements de saison influencent les résultats».

Un bon taux de réussite mais insuffisant

Selon le docteur Amadou Ousmane Traoré, président de l’Ordre des vétérinaires du District de Bamako, « le taux de réussite pour obtenir un veau ou une velle après une insémination au Mali varie entre 50 et 60% ». Bien que l’IA soit pratiquée au Mali sur des vaches en bonne santé, cette pratique est confrontée à certaines contraintes. A savoir, les conditions d’élevage, le professionnalisme de l’inséminateur et la saison. « En période sèche par exemple, les vaches sont moins bien nourries, s’affaiblissent et sont donc moins disposées à l’insémination », explique Amadou Traoré.

Cependant, selon le directeur du Cnia, « il faut reconnaître que le taux de réussite national est satisfaisant comparé aux chiffres internationaux. Et ce, grâce aux conseils appliqués par les éleveurs ». 

« Le centre forme les techniciens d’élevage, les ingénieurs et même les vétérinaires habilités à pratiquer l’insémination. Nous proposons des modules de formation aux éleveurs afin qu’ils puissent bien préparer les animaux avant l’arrivée de l’inséminateur », précise-t-il.

Toutefois, Gilles Koné, docteur vétérinaire, spécialiste en insémination et directeur de l’Université Agri’Sup à Ségou, une ville située à 240 km de Bamako, estime que les efforts déployés sont encore insuffisants et trouve « un peu exagérés les chiffres donnés par le Cnia concernant l’utilisation de l’IA par les éleveurs au Mali ».

« Il y a actuellement un manque d’enthousiasme de la part des éleveurs quant à l’utilisation de l’insémination. De plus, le problème de l’insécurité empêche les inséminateurs publics de se rendre dans les régions où se trouvent plus de la moitié des éleveurs », déclare Gilles Koné, qui recommande aux autorités de « multiplier les actions de promotion de l’IA auprès des éleveurs dans les zones périurbaines ».

Choix des semences

Bien que l’IA ait débuté au Mali dès 1949 avec l’importation de semences de races Tacheté de l’Est, tarentaise, brune suisse et jersey, il a fallu attendre 66 ans pour que le pays se dote d’un centre capable de gérer l’importation et la production de semences.  Le Dr Adama Traoré, surnommé « le Père de l’Insémination artificielle au Mali » dans la communauté scientifique malienne, relate : « Aujourd’hui, le pays importe principalement les semences des taureaux Montbéliarde et Holstein de France.» En effet, le chercheur est à l’origine de la revitalisation de l’IA dans son pays et de la création du premier centre d’insémination artificielle à Sotuba en 1978.

Le choix de ces races n’est pas fortuit. Les Montbéliarde et Holstein sont des races laitières plus productives et « très appréciées par les éleveurs maliens. Leurs descendants sont plus résistants aux conditions climatiques du pays et peuvent produire jusqu’à une douzaine de litres de lait par jour contre 2 à 3 litres pour les vaches locales », explique le Dr Adama Traoré.

Si les métisses Montbéliarde et Holstein produisent environ 12 litres de lait par jour, les vaches de race pure produisent quant à elles, respectivement en moyenne 32 et 35 litres de lait quotidiennement.

Aujourd’hui, le secteur de l’élevage représente une contribution de plus de 15% au produit intérieur brut, ce qui positionne le pays en tête de l’espace UEMOA avec un effectif de 12,2 millions de bovins, 20 millions d’ovins, 26,5 millions de caprins et 1,2 million de chameaux. 

Malgré ces chiffres encourageants, les importations annuelles de produits laitiers du pays dépassent les 20 milliards de FCFA. Lesquelles importations maintiennent les producteurs locaux dans la précarité, selon Youba Ba, ministre délégué chargé de l’Élevage et de la Pêche.

Le défi du lait

En raison des niveaux de production laitière insuffisants du cheptel, l’État a décidé, il y a près d’une décennie, de subventionner l’IA afin d’améliorer génétiquement les races locales. Ainsi, l’éleveur paie 10 000 Fcfa pour l’insémination d’une vache en chaleur naturelle et 17 500 Fcfa pour la chaleur provoquée.

D’après Diakaridia Traoré, « c’est le service de l’inséminateur qui est rémunéré par l’éleveur, et l’État prend en charge tous les intrants. Autrement, le coût non subventionné d’une insémination artificielle s’élève à 35 000 Fcfa pour une vache en chaleur naturelle et 45 000 Fcfa pour la chaleur provoquée ».

Il faut attendre 34 mois pour qu’une vache métisse commence à produire du lait. De plus, comme le souligne le directeur du Cnia, la production laitière varie en fonction de la saison. Pendant la saison sèche chaude, la quantité de lait collectée auprès des éleveurs fluctue entre 10 000 et 15 000 litres par jour. Quant aux saisons pluvieuses et sèches froides, on enregistre environ 30 000 litres de lait par jour au niveau national. Cependant, tous les éleveurs ne font pas enregistrer leur production, rapporte-t-il.

Pour faire face aux contraintes saisonnières, les acteurs de la filière laitière ont formulé les recommandations suivantes lors de la 16ème édition de la Journée mondiale du lait au Mali : maîtriser la gestion nutritionnelle du bétail, développer la production fourragère, mettre en place des aménagements spécifiques pour les fourrages, organiser des formations sur les techniques d’alimentation et enregistrer toutes les exploitations familiales pour assurer la traçabilité dans la filière.

En outre, Diakaridia Traoré assure que le Cnia a obtenu un financement de l’État et de ses partenaires pour la construction des infrastructures au sein du centre, notamment les étables et les laboratoires, qui devraient être réceptionnés d’ici 2024. Dès 2025, le Mali sera en mesure de produire ses propres semences adaptées aux conditions climatiques et saisonnières, visant ainsi l’autosuffisance dans la production laitière du pays.

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Ce reportage a été écrit par Mardochée Boli,  financé et publié premièrement par  Afrique Agriculture puis repris sur Sciences de chez nous. 

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