Interview de Boubacar Kanté : Le physicien malien, inventeur du laser topologique

Professeur titulaire à l’Université de Californie à Berkeley, aux États-Unis, le Malien Boubacar Kanté est un physicien de renom. Premier professeur à occuper la prestigieuse chaire Chenming Hu à Berkeley, il est connu pour ses énormes contributions dans le domaine de l’optique et des métamatériaux. Ses recherches multidisciplinaires explorent les interactions complexes entre les ondes et la matière, allant des micro-ondes à l’optique, et touchant des domaines aussi variés que les antennes, la nanophotonique, les nouveaux matériaux, et l’optique quantique.

Ce qui distingue particulièrement Boubacar Kanté, c’est son invention des Berkeley Surface Emitting Lasers (BerkSELs), des lasers qui résolvent un problème resté sans solutions depuis soixante ans en physique des ondes : comment augmenter la taille d’une cavité laser tout en maintenant un mode unique.

Mais ce n’est pas tout. Kanté, le Malien, est également le premier à avoir inventé le laser topologique, basé sur l’effet Hall quantique pour la lumière, une avancée classée parmi les dix meilleures découvertes scientifiques par Physics World en 2017. Ses travaux incluent également la démonstration du laser à état lié dans le continuum (BIC), un dispositif unique qui permet de produire des sources lumineuses compactes et particulièrement efficaces. Il détient aussi le record mondial en matière de bande passante et d’efficacité pour les lentilles structurées planes, une innovation qu’il a baptisée Fishnet-Achromatic-Metalens (FAM).

Dans cette interview exclusive accordée à Sciences de chez Nous, Boubacar Kanté revient sur son enfance, son parcours exceptionnel et partage sa vision de l’impact que ses travaux pourraient avoir sur son pays natal, le Mali.

Sciences de chez Nous: Parlez-nous de votre enfance et de votre parcours scolaire ?

Je suis né en 1983 à Bamako, mais très peu de temps après ma naissance, ma mère et moi avons rejoint mon père, qui enseignait au Gabon. C’est là-bas que j’ai principalement grandi. Chaque été, nous retournions au Mali, dans la région de Kayes, pour rendre visite à nos grands-parents et à la famille. Mon parcours scolaire a débuté au Gabon, où j’ai fait mes premières années à Makokou, puis à Lambaréné. Cependant, au début des années 1990, avec l’arrivée de la démocratie en Afrique, mes parents s’inquiétaient des possibles instabilités politiques, et ma mère a décidé de revenir à Bamako avec mes sœurs et moi. J’ai donc poursuivi mes études à Bamako, au centre Mabilé, où j’ai fait la 5ème et la 6ème année. Ironie du sort, ce centre est aujourd’hui devenu un camp de réfugiés en raison de l’instabilité au Mali.

Après la 6e année, la situation étant stable au Gabon, nous y sommes retournés, et j’ai continué ma scolarité au collège. J’ai passé mon BEPC (équivalent au DEF au Mali) à Libreville, où j’ai aussi fait mes années de lycée. J’ai suivi une série scientifique, et en terminale, j’ai choisi la filière C (mathématiques et physique). En 2001, j’ai obtenu mon bac et j’ai eu l’honneur d’être premier au niveau national, bien que je ne sois pas Gabonais, mais Malien.

Bouba en classe de CP1 (1ère année du primaire) au Gabon

Comment avez-vous poursuivi vos études après le bac ?

Après mon bac, n’étant pas Gabonais, je n’ai pas pu bénéficier de la bourse automatique accordée aux étudiants gabonais ayant obtenu plus de 12 de moyenne pour poursuivre leurs études en France. J’ai donc décidé de rester à Libreville pour suivre une prépa Math Physique Sciences de l’Ingénieur (MPSI) au Lycée Léon Mba. C’était un programme franco-gabonais, avec des enseignants coopérants français. Pendant ces deux années de prépa, j’ai fini premier de ma promotion à chaque semestre, ce qui m’a permis d’obtenir cette fois-ci, une bourse pour continuer mes études d’ingénieur en France. Ce fut une opportunité incroyable que mes professeurs ont soutenue en soumettant mon dossier à l’ambassade de France, et j’ai pu poursuivre mes études à Polytech Lille.

Parlez-nous de votre choix d’études et de votre intégration en France.

À Polytech Lille, j’ai choisi l’option IMA (Informatique, Microélectronique et Automatique). J’étais fasciné par l’idée de construire des systèmes électroniques complexes, et ce parcours me permettait de me spécialiser davantage dans la microélectronique, ce qui correspondait déjà à mes objectifs de thèse et de recherche à long terme. Mon intégration en France s’est très bien passée, je me suis fait beaucoup d’amis français, et je garde un excellent souvenir de cette période. Il y a parfois des difficultés quand on est étranger, mais honnêtement, j’ai toujours reçu un accueil chaleureux.

 

Un laser topologique a des applications très prometteuses, notamment dans le traitement de l’information.

Professeur Boubacar Kanté Chercheur malien, inventeur du laser topologique

Votre travail de recherche vous a conduit à inventer le laser topologique. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Mes recherches ont effectivement conduit à l’invention du laser topologique. Pendant ma thèse, je travaillais sur les métamatériaux dans le domaine des micro-ondes, des ondes électromagnétiques de basse fréquence comme celles utilisées dans les téléphones portables. En allant aux États-Unis pour mon post-doctorat, j’ai changé de domaine de fréquence pour travailler dans l’optique, c’est-à-dire sur des ondes électromagnétiques à plus haute fréquence, comme la lumière visible. Après avoir été nommé professeur à l’Université de Californie à San Diego, mon groupe a inventé le premier laser topologique.

Prof Kanté en pleine séance de travaille avec son équipe

À quoi sert un laser topologique ?

Un laser topologique a des applications très prometteuses, notamment dans le traitement de l’information. Actuellement, nous utilisons des électrons pour transmettre et traiter les informations dans les circuits électroniques, mais les photons, c’est-à-dire les particules de lumière, pourraient permettre un traitement bien plus rapide et plus économe en énergie. Le problème, c’est que les photons sont plus difficiles à contrôler. Le laser topologique permet de mieux diriger la lumière sans perte d’énergie due à la réflexion, ce qui le rend particulièrement efficace pour des circuits optiques.

Votre invention peut-elle contribuer à lutter contre des problèmes globaux comme le terrorisme au Mali ?

Indirectement, oui. Les conflits dans le monde, y compris au Mali, sont souvent alimentés par la pauvreté et la recherche de ressources comme le pétrole et l’uranium. En développant des technologies plus efficaces et moins gourmandes en énergie, comme les circuits optiques, on pourrait réduire cette pression sur les ressources naturelles et donc les raisons économiques de nombreux conflits.

Professeur Kanté en 2009

Sciences de chez Nous: Quel rôle vos parents ont-ils joué dans votre parcours ?

Mes parents, notamment mon père Sambaly Kanté, professeur de sciences physiques, ont été des modèles pour moi. Ils nous ont toujours inculqué l’importance du savoir et du travail acharné. Mon père m’accompagnait dans mes études, nous faisions souvent des exercices ensemble, comme une compétition amicale entre élève et professeur. Ce soutien familial a joué un rôle crucial dans mon parcours.

Sciences de chez Nous a également interrogé le père du Professeur Boubacar, monsieur Sambaly Kanté, lui-même enseignant  de sciences physiques, qui a joué un rôle important dans l’accompagnement de son fils tout au long de son parcours académique et scientifique.

Sciences de chez Nous: Quels sentiments avez-vous en voyant votre fils atteindre ce niveau de science ?

Une immense fierté, vraiment. C’est la récompense de tout le travail que nous avons accompli ensemble. On passait des heures à travailler côte à côte, avec le même livre de maths ou de physique devant nous. Après chaque chapitre, on faisait des exercices en mode « compétition » : l’élève contre le prof. Si nos réponses différaient, je passais au tableau pour expliquer. Nous étions même dans le même lycée, mais j’avais demandé à l’administration de ne pas le mettre dans ma classe pour éviter toute suspicion de favoritisme, surtout qu’il obtenait toujours 20/20 en physique et en maths. Je voulais qu’il réussisse par ses propres moyens, sans qu’on puisse penser que ses résultats étaient influencés par le fait que j’étais son père.

 

Prof Boubacar Kanté et son père

Quel message aimeriez-vous adresser aux parents d’aujourd’hui ?

Mon message est simple : il faut encourager ses enfants avec amour et leur inculquer la valeur du travail. Accompagnez-les, mais laissez-les aussi se responsabiliser et trouver leur propre voie. C’est ainsi qu’ils pourront vraiment réussir.

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Cette interview a été transcrite par Aïchata Tigana et approuvée pour publication par la rédactrice en chef de Sciences de chez Nous, Fatimatou Diallo. 

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