L’Afrique se dote d’un centre de formation en diplomatie scientifique

L’essentiel

  • Pour ses trois premières années, le centre, basé à Kigali (Rwanda), formera 2500 professionnels africains
  • Largement subventionnée, la formation y sera adaptée aux défis spécifiques du continent africain
  • Des chercheurs africains mettent en garde contre un déséquilibre dans le partage des bénéfices du centre

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© Un article de: SciDev 


L’Afrique dispose désormais d’un centre de recherche et de formation en diplomatie scientifique baptisé « Centre de Diplomatie Scientifique pour l’Afrique ». Il a été inauguré le 6 mai 2024 à Kigali, la capitale du Rwanda, au lendemain de la cinquième conférence annuelle du Réseau international en conseil scientifique gouvernemental (INGSA).

Ce centre est le fruit d’une collaboration entre SciTech DiploHub, le hub de diplomatie scientifique et technologique basé à Barcelone (Espagne), les gouvernements municipaux de Barcelone et de Kigali ainsi que des universités et académies scientifiques d’une cinquantaine de pays africains.

Selon le communiqué de presse qui a sanctionné son lancement, le centre « coordonnera les initiatives entre scientifiques, diplomates, décideurs politiques, entrepreneurs technologiques et entreprises multinationales, favorisant la recherche collaborative et le développement technologique en Afrique ».

“Il faudrait veiller à ce que les bénéfices de cette collaboration soient partagés de manière équilibrée pour que les chercheurs et les États africains puissent pleinement tirer parti des opportunités qu’offre ce centre de recherche”

Shaheen Motala-Timol, INGSA-Afrique

En particulier, au cours de ses trois premières années d’activité, « le centre formera plus de 2 500 professionnels africains en diplomatie scientifique et technologique et soutiendra le développement de nouvelles stratégies en matière de politique scientifique pour une vingtaine de gouvernements nationaux et locaux de la région », peut-on lire.

Les domaines de prédilection devant être le changement climatique, la santé publique, la résilience des villes, les inégalités sociales et économiques et l’entrepreneuriat technologique dans le domaine du développement durable.

Dans un entretien accordé à SciDev.Net, Alexis Roig, PDG de SciTech DiploHub, indique que « les candidats aux programmes de formation du centre seront sélectionnés selon un processus rigoureux qui prend en compte leur formation universitaire, leur expérience professionnelle et leur engagement à tirer parti des connaissances scientifiques pour la diplomatie et les relations internationales ».

Selon ses explications, les cibles de ce centre sont principalement les scientifiques, les décideurs politiques et les diplomates d’Afrique et leur formation sera « fortement subventionnée » ; question de garantir que les obstacles financiers n’entravent pas la participation de candidats talentueux issus de divers milieux socio-économiques.

Shaheen Motala-Timol, présidente du chapitre africain de l’INGSA trouve que l’initiative de la création de ce centre est « fort louable » parce qu’il existe un réel besoin de renforcement des capacités en matière de diplomatie scientifique en Afrique.

« En tant que chercheure, je pense que toute initiative de collaboration scientifique interdisciplinaire et intercontinentale doit être soutenue, et j’espère en voir de grandes réalisations pour le bien de nos sociétés », affirme l’intéressée qui est par ailleurs responsable de l’Amélioration académique et de la qualité à l’université Middlesex à l’Île Maurice.

Pôle de développement des capacités

Une opinion partagée par le Camerounais Atanas Dommo, chercheur post-doctorat en sciences de l’atmosphère à l’université de Missouri-Columbia aux Etats-Unis. « C’est une occasion que les chercheurs africains doivent saisir pour davantage se faire entendre ou promouvoir leurs travaux », dit-il d’emblée.

« Le moment est venu pour nos Etats qui nourrissent un réel désir de développement et d’émergence de s’approprier les outils que sont la recherche et l’innovation technologique et leur rôle indispensable dans le développement économique et social afin d’intégrer les chercheurs et les résultats de la recherche dans l’élaboration des politiques publiques », ajoute-t-il.

Cet universitaire qui s’intéresse en particulier à la science du climat dit espérer que le nouveau centre agisse sur quatre pôles essentiels. Qu’il soit d’abord un pôle de développement des capacités des chercheurs africains à synthétiser l’information scientifique pour qu’elle soit plus digeste auprès des communautés et des décideurs.

Ensuite, qu’elle soit un lieu de discussions sur les questions de recherche qui sont à l’intersection de la science et de la société d’une part, et de la science et du développement, d’autre part. Puis, qu’il soit un point de connexion/fusion entre les chercheurs africains et le monde de l’entreprise. Et enfin, qu’il se présente comme un cadre de partenariat et de dialogue entre les chercheurs et les décideurs.

« Bref ce centre doit être une véritable structure diplomatico-scientifique qui intègre toutes les composantes de la société et qui incite les politiques africaines à placer désormais la recherche parmi les outils en pole position pour le développement », conclut Atanas Dommo.

Appréhensions

Pour autant, cet accueil favorable n’empêche pas des appréhensions. « Ce genre de collaboration ne doit pas compromettre la souveraineté des Etats africains ni exploiter de manière injuste les chercheurs africains et leurs travaux de recherche, ainsi que les ressources naturelles du continent, sous le couvert d’un renforcement des capacités en diplomatie scientifique », met en garde Shaheen Motala-Timol.

Atanas Dommo abonde dans le même sens et se dit traversé par un sentiment « mitigé ». D’une part, dit-il, «  je suis au regret de constater que des initiatives comme celles-là nous viennent de l’extérieur et ne soient pas nées sur le continent africain. Cela démontre davantage une méconnaissance ou une sous-estimation de nos propres capacités et potentialités, surtout par nos gouvernants ».

Or, d’autre part, il estime qu’un tel centre ne pourra être « pleinement » bénéfique aux Africains que si ces derniers prennent conscience de l’intérêt et des avantages qu’il peut comporter.

D’où la recommandation de Shaheen Motala-Timol qui dirige par ailleurs un programme de mentorat en matière de conseil scientifique au sein de l’INGSA-Afrique : « Il faudrait veiller à ce que les bénéfices de cette collaboration soient partagés de manière équilibrée pour que les chercheurs et les États africains puissent pleinement tirer parti des opportunités qu’offre ce centre de recherche ».

Initiative inclusive

En guise de réponse à ces réserves, Alexis Roig a indiqué à SciDev.Net que ce centre est le fruit d’un effort panafricain impliquant plus de 30 académies des sciences du continent à travers le Réseau des académies scientifiques africaines (NASAC) et plus de 400 universités d’Afrique par le truchement de l’Association des universités africaines.

« Le fait que le Centre de diplomatie scientifique pour l’Afrique soit soutenu par autant d’universités et d’académies des sciences du continent garantit que la formation est pertinente et adaptée aux défis uniques de l’Afrique », dit-il.

« L’objectif est que cette initiative panafricaine joue un rôle vital dans la formation des professionnels de notre continent à l’interface entre la science et la politique, et dans la dynamisation des diasporas scientifiques africaines autour du monde », renchérit Jackie Kado, la directrice exécutive du NASAC, citée dans le communiqué de presse relatif au lancement du centre.

« Cette initiative panafricaine est structurée pour être inclusive et adaptée aux besoins du continent. (…) Notre objectif est de créer un réseau étendu qui soutient le développement scientifique et diplomatique durable à travers l’Afrique et au-delà », ajoute Alexis Roig qui est par ailleurs professeur dans plusieurs universités dont celle des sciences et technologies de Shanghai (USST) et le Centre des relations internationales de Barcelone (CIDOB).

Bénéficiant jusqu’en 2028 d’un financement de trois millions d’euros apporté par les partenaires du projet et la Commission européenne, le centre est présenté comme « l’investissement le plus important jamais réalisé par une organisation basée en Europe en matière de coopération scientifique avec l’Afrique ».

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Cet article a été écrit par Julien Chongwang et publié premièrement sur Scidev.Net puis repris sur Sciences de chez nous. 

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