Graine de résilience : l’agriculture sénégalaise cultive l’espoir pour la “faim Zéro”
Avec une production céréalière en hausse de 34,16 % entre 2017 et 2022 et une production horticole ayant bondi de près de 113 % de 2010 à 2022, l'agriculture sénégalaise se mobilise pour éradiquer la faim dans le pays de la Teranga, malgré les défis climatiques. À l'avant-garde de cette transformation, les femmes jouent un rôle héroïque et déterminant.
« Depuis quelques années, il devient de plus en plus difficile de cultiver le mil et d’avoir un bon rendement, pour plusieurs raisons. Les pluies sont irrégulières, les sols s’épuisent, la forte chaleur réduit le temps de travail au champ… Mais nous continuons quand même. Grâce à des technologies innovantes telles que les variétés de semences plus résilientes et des pratiques agricoles mieux adaptées, nous arrivons à nous en sortir. Et parfois, mieux qu’avant. »
C’est avec un visage souriant, marchant d’une démarche sereine dans son champ de deux hectares, que Awa Fall, cultivatrice de mil dans le village de Koungheul dans la région de Kaffrine, à environ 360 kilomètres de Dakar, nous livre ces mots.
À l’instar de celle de Awa, la plupart des communautés sénégalaises font face depuis des années aux défis croissants du changement climatique. Pourtant, ses propos reflètent une résilience et une capacité d’adaptation qui illustrent la transformation en cours dans l’agriculture sénégalaise.
Une remarquable transformation
Selon les données de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) du Sénégal, collectées à travers la plateforme Open Data Sénégal, de 2017 à 2022, la production céréalière est passée de 2,48 à 3,33 millions de tonnes, montrant une augmentation de 34,16 %. Les cultures céréalières comme le mil, le maïs, le sorgho et le riz restent des piliers fondamentaux de la sécurité alimentaire sénégalaise. Parmi elles, le riz est la culture céréalière la plus produite, répondant à une demande croissante en raison de son importance dans la gastronomie locale, notamment dans des plats emblématiques comme le Tchep.
Dans le même temps, la production horticole, incluant les fruits et légumes, a connu une augmentation spectaculaire de 113,33 %, passant de 750.000 à 1,6 million de tonnes entre 2010 et 2022. Cette diversification a permis de répondre à des besoins nutritionnels croissants et de renforcer les économies locales.
« La population sénégalaise a fortement augmenté ces dernières années, et vous savez que l’un des plats les plus appréciés reste le Tchep, ce riz préparé “à la sénégalaise”. Un bon Tchep se prépare avec beaucoup de légumes. La demande est donc de plus en plus croissante, c’est pour cela que nous cultivons davantage ces produits », explique Mariama Diouf, une ancienne comptable reconvertie en agricultrice dans la région de Thiaroye-sur-Mer, près de Dakar.
L’agriculture occupe une place essentielle dans l’économie sénégalaise. En 2023, elle représentait près de 15 % du produit intérieur brut (PIB), et employait environ 22 % de la population active, selon un rapport de la Banque mondiale.
Le poids des défis climatiques
Pourtant, derrière ces chiffres prometteurs, les agriculteurs doivent composer avec un climat de plus en plus imprévisible. « Les sécheresses et les pluies irrégulières compliquent chaque étape de la production, mais nous n’abandonnons pas » explique Mamadou Diop, cultivateur de maïs à Tambacounda.
Le cultivateur ajoute qu’ « Il y aussi les ravageurs et les intempéries qui détruisent les récoltes, et les pertes post-récoltes restent un problème majeur faute de moyens pour stocker correctement les produits ou les transformer comme cela se doit ».
Dégât causé par une chenille légionnaire d’automne sur les cultures de maïs. Crédit image : Bilal Taïrou
En plus de ces défis, des phénomènes comme la salinisation des terres agricoles touchent particulièrement les zones côtières, notamment dans la région de Saint-Louis.
« Certaines zones autrefois fertiles sont désormais inutilisables à cause de l’eau salée qui s’infiltre dans les sols à Saint-Louis. Nous devons nous adapter, mais cela nécessite des moyens que beaucoup d’agriculteurs n’ont pas », déplore Cheikh Gueye, agronome et coordinateur d’un projet de restauration des sols dans cette région.
En 2021, la production céréalière a chuté de 4,4 % par rapport à l’année précédente, passant de 3,48 millions de tonnes en 2020 à 3,33 millions, selon les données de l’ANSD. Dr Emmanuel Njukwe, directeur de la recherche et de l’innovation agricole au Conseil ouest et centre africain pour la recherche et le développement agricole (CORAF) attribue cette baisse à des conditions climatiques défavorables, notamment une pluviométrie insuffisante et mal répartie, aggravée par une hausse des températures qui accélère l’évaporation et appauvrit davantage les sols.
Lors de la 28e édition de la Conférence des Parties (COP28) à Dubaï, les discussions ont souligné, à travers la Déclaration sur l’agriculture et l’alimentation, l’urgence pour des pays comme le Sénégal d’intégrer des pratiques agricoles durables, tout en mettant l’accent sur des infrastructures de stockage post-récolte pour limiter les pertes agricoles.
Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), les pertes post-récolte oscillent au Sénégal entre 13 % et 70 %, affectant principalement les filières céréalières (riz, mil), protéagineuses (arachide, niébé), ainsi que les chaînes de valeur horticoles (oignon, pomme de terre, mangue, banane). Ces pertes, estimées à près de 100 milliards de FCFA par an, représentent un défi économique majeur.
Avec ces défis climatiques croissants, le Sénégal n’a d’autre choix que de miser sur des technologies climato-intelligentes et des stratégies résilientes pour garantir une agriculture durable et inclusive.
Les femmes à l’avant-garde de la “faim zéro”
Au cœur de cette transformation agricole, les femmes jouent un rôle central. Selon les données disponibles sur la plateforme Open Data Sénégal, les cultures horticoles occupaient une place importante avec 63.000 hectares cultivés en 2021, avec les femmes en première ligne dans la plupart des régions. Dans le pays, près de 56 % des exploitations horticoles sont gérées par des femmes, avec une participation active aux chaînes de valeur agricole : du semis et de la récolte jusqu’aux activités de transformation et de commercialisation. De fait, elles produisent près de 60% de la nourriture consommée localement selon la FAO, une contribution essentielle pour garantir la sécurité alimentaire des communautés rurales et urbaines.
Elles occupent en outre une place prépondérante dans la culture de céréales comme le mil, constituant une main-d’œuvre essentielle dans les étapes de production. Pourtant, malgré leur contribution majeure, les femmes possèdent moins de 20 % des terres agricoles enregistrées, une inégalité foncière qui limite leur capacité à développer leurs activités. Leur participation dans les coopératives et les initiatives locales leur permet cependant de surmonter ces barrières, générant des revenus essentiels pour leurs foyers.
En collaboration avec des structures locales, les femmes jouent également un rôle clé dans les coopératives maraîchères. À Kaffrine, des groupes féminins cultivent du niébé et du mil tout en suivant des formations pour améliorer leurs techniques agricoles. Si la production est surtout destinée à la consommation familiale, le surplus de leurs récoltes est vendu, générant des revenus supplémentaires qui soutiennent l’économie rurale et renforcent la sécurité alimentaire des communautés. À Saint-Louis, Khady Ba, membre d’une coopérative maraîchère, explique : « Avec les jardins communautaires, nous cultivons des légumes variés, nourrissons nos familles et vendons le surplus sur le marché local. Ces revenus nous permettent aussi d’envoyer nos enfants à l’école. »
À Tambacounda, Fatou Diallo, maraîchère, reconnaît les défis du métier, mais insiste sur son importance : « C’est un travail difficile, mais gratifiant. Grâce à mes cultures de légumes, je peux aider mon mari à payer l’école et les soins de santé de nos deux enfants et prendre soin de la maison. »
Les programmes de renforcement des capacités, tels que ceux initiés par le CORAF, ont permis à des milliers de femmes d’accéder à des semences climato-résilientes et à des technologies agricoles modernes. Ces innovations augmentent leurs rendements et renforcent leur résilience face aux aléas climatiques, tout en leur ouvrant des opportunités économiques qui transforment leurs vies.
Les femmes sont aussi omniprésentes dans les marchés locaux, où elles assurent la commercialisation des produits agricoles. Aissatou Ndiaye, vendeuse de légumes au marché Castors de Dakar, témoigne : « Nous, les femmes, sommes l’âme du marché. Chaque matin, nous achetons directement des maraîchères pour revendre ici. Ce commerce nous aide à subvenir aux besoins de nos familles. » En reliant les producteurs aux consommateurs, elles jouent un rôle crucial dans la réduction des pertes post-récoltes et l’amélioration de l’accès des produits aux ménages sénégalais.
Ainsi, les femmes du Sénégal sont des actrices incontournables de l’agriculture et des piliers de la sécurité alimentaire. Leur résilience, combinée aux innovations et au soutien des programmes locaux, place le “Pays de la Terranga” sur la voie du deuxième objectif du développement durable : éradiquer la faim et la malnutrition en garantissant l’accès à une alimentation sûre, nutritive et suffisante pour tous.
Une transformation soutenue par les innovations
Pour renforcer cette dynamique, le Sénégal s’appuie sur des programmes ambitieux visant à moderniser l’agriculture et à la rendre plus résiliente face aux défis climatiques, mis en œuvre par le Ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de l’élevage (MASAE) du Sénégal. Il y a aussi des initiatives phares d’organisations non-gouvernementales, telles que le Partenariat pour la recherche, l’éducation et le développement agricoles en Afrique de l’Ouest (PAIRED) mis en œuvre par le CORAF de 2017 à 2022, qui a permis entre autre de mettre à l’échelle des technologies et innovations agricoles, et de garantir l’accès et la disponibilité des intrants agricoles de qualité aux agriculteurs dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Sénégal.
Pour atteindre l’objectif de la “faim zéro”, le Sénégal devra continuer à investir dans des solutions climato-intelligentes, à encourager l’autonomisation des femmes dans le secteur agricole, et à développer des infrastructures adaptées. Avec l’appui de programmes internationaux et d’initiatives locales, l’agriculture sénégalaise peut devenir un modèle en Afrique de l’Ouest.
Ce cheminement, bien que semé de défis, illustre la capacité du Sénégal à transformer son secteur agricole en un pilier de sécurité alimentaire et de durabilité environnementale, tout en honorant son surnom de “Pays de la Teranga” par un engagement à nourrir chaque citoyen, et, comme l’annonce l’Agenda national de transformation Sénégal 2050, faire du pays, “le grenier agricole du Sahel” à l’horizon 2050.
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Cet article a été écrit par Bilal Taïrou – journaliste scientifique et de données, vérificateur des faits, Coordonnateur en Chef de l’Alliance africaine de vérification des faits et Mardochée Boli – journaliste scientifique, vérificateur des faits à PesaCheck.
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