Bien qu’elle fasse trois tonnes en moyenne, la femelle éléphant n’affiche pas la carrure des mâles, plus imposante. C’est également la même chose chez la lionne, plus menue que le lion. Ces différences de physique, que l’on désigne comme le dimorphisme sexuel, tendent à renforcer cette image bien ancrée du physique chez le mammifère mâle qui en impose par rapport à celui de la femelle. À son époque, Charles Darwin était d’ailleurs persuadé que cela fonctionnait ainsi. Pourtant, une étude récente remet en question cette croyance qui a la dent dure, allant même jusqu’à démontrer que les exemples ci-dessus sont plus l’exception qu’ils ne constituent la norme.
Cette idée que les mammifères mâles sont plus imposants, ça vient d’où au juste ?
Pour expliquer d’où vient cette croyance, il faut tout d’abord revenir aux bases de la sélection naturelle. Elle implique en effet de passer des gènes à la génération suivante qui confèrent à l’espèce des caractéristiques permettant sa survie. Cela inclut des traits tels que la capacité de donner naissance à plus de progénitures, une vie plus longue ou encore une fertilité accrue. Or, la taille est l’une de ses caractéristiques. Elle apporte de la puissance et l’accès à de nouvelles sources de nourriture avantageuses pour de meilleures chances de survivre dans son environnement.
Néanmoins, la sélection naturelle est une chose, mais encore faut-il que les animaux se reproduisent pour qu’elle puisse poursuivre son œuvre… C’est là qu’intervient un second niveau de sélection : la sélection sexuelle avec à la clé une compétition entre mâles et femelles pour se reproduire. Chez les mammifères, on estime généralement que cette sélection sexuelle est plus particulièrement importante chez les mâles. Chez les cervidés, plus le mâle cerf sera gros, plus il attirera les femelles et pourra gagner ses combats face à ses rivaux plus chétifs. On retrouve la même chose chez les éléphants de mer ou encore les gorilles, une carrure imposante apportera dominance et succès reproductif. Néanmoins, il faut faire attention.
Attention à ne pas extrapoler aux autres espèces
Les études portant sur les différences de taille entre les deux sexes portent en général sur des animaux plus grands, célèbres et « charismatiques ». Toutefois, ces travaux s’intéressent assez peu aux autres mammifères, et notamment aux rongeurs et aux chauves-souris qui représentent pourtant plus de la moitié des mammifères. Le peu d’études qui existent bel et bien sur des animaux moins étudiés tend à démontrer qu’il n’y a pas d’écart de taille ou même parfois que les femelles peuvent surpasser les mâles en taille. Pourtant, le discours sur la supériorité en taille des mâles a persisté au fil des années.
Pour avoir enfin le fin mot de l’histoire et en apprendre plus sur ces disparités, une analyse plus exhaustive a été menée par l’Université de Princeton (États-Unis). Or, en examinant des ensembles de données, ces recherches montrent que tout n’est pas aussi simple qu’on le pensait.
Des centaines de mammifères passés à la loupe
Après avoir comparé 429 espèces, les scientifiques n’ont trouvé des mâles plus imposants que chez 45 % des espèces dans leurs données. Toutefois, ils ne constituent pas la majorité. Dans 16 % des cas, les femelles affichaient une carrure plus grande et dans 39 % des cas, il n’y avait en réalité pas de différence significative au niveau de leur taille.
Quelques précisions sur les résultats des analyses
Selon ces travaux, les écarts se creusent en fonction des groupes et des différences plus notables peuvent apparaître chez certaines espèces. Par exemple, la moitié des chauves-souris ont des femelles plus grandes que les mâles et cela peut grimper jusqu’à 60 % chez les lapins ou les lièvres. Du côté des chevaux, des lémuriens, des taupes dorées ou des tenrecs, les tailles étaient bien équivalentes tout comme chez près de la moitié des rongeurs.
Les mâles plus larges dominent tout de même dans certaines catégories. Chez les carnivores, et notamment les ours, les chats ou encore les phoques, les chercheurs n’ont par exemple pas trouvé de femelles plus larges. Chez les éléphants de mer, la différence entre les sexes était particulièrement visible avec des mâles en moyenne trois fois plus gros que les femelles. Ces données étonnantes reflètent par ailleurs une autre réalité. Quand les mâles sont bel et bien plus gros, la différence est plus significative que lorsque les femelles en imposent plus. Ils sont en effet en moyenne 1,3 fois plus gros qu’elles alors que la différence n’est que de 1,1 quand ce sont elles qui dominent en taille.
Cette étude soulève des questionnements intéressants
Ces recherches montrent à quel point les scientifiques tendent à négliger l’analyse des femelles animaux et de certaines espèces peut-être considérées comme moins attrayantes ou charismatiques. Elles soulèvent aussi de nouvelles questions concernant la sélection sexuelle. Par exemple, une taille équivalente apporte-t-elle un avantage particulier à une espèce ? Par ailleurs, être plus imposant est-il forcément plus avantageux et, dans les cas où les mâles sont plus petits, doivent-ils se mettre en compétition d’une autre manière qu’en se battant ? Ces travaux étudient en tout cas seulement 7 % des mammifères. Des études complémentaires portant sur d’autres espèces pourraient en tout cas permettre de confirmer ou pas ces résultats et démontrer à quel point la taille est un argument de point dans la guerre des sexes.