L’hôpital malien au bord du gouffre : et si on en parlait ?

⇓Un texte du Dr Seydou Ballo

Les hôpitaux du Mali sont dans un état de déliquescence accrue. Cette situation est due à de nombreux fléaux liés principalement à la négligence et au manque d’implication des agents et des professionnels de santé dans l’exécution de leurs tâches. Cette négligence constitue la base de tous les autres problèmes qui affectent le milieu médical. En outre, elle empêche les usagers qui fréquentent l’hôpital de bénéficier d’une prise en charge adaptée à leur état de santé.

Pour se rendre compte de l’ampleur de ce phénomène, il suffit de visiter nos hôpitaux, particulièrement les services de maternité, où les erreurs médicales sont les plus fréquentes. On remarque avec effroi que les victimes de ces négligences sont très nombreuses.

Le cas de Mariam, décédée des suites d’un accouchement par césarienne, n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Son époux, révolté, témoigne : « Le jour de l’accouchement de ma femme, nous nous sommes rendus à la clinique sur place. Dans la foulée, le médecin qui s’occupait d’elle a ordonné un accouchement par césarienne sous prétexte que le bébé était trop gros pour pratiquer un accouchement normal. Durant l’opération, ma femme s’est réveillée car l’effet de l’anesthésie s’était atténué. Elle criait, souffrant de douleurs atroces. Le médecin lui a administré aussitôt une deuxième dose qui lui a été fatale. Elle est décédée après la césarienne, mais le bébé était en vie. »

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Le pauvre époux explique que s’il en avait les moyens, il porterait l’affaire devant les tribunaux afin que justice soit rendue. C’est en effet le médecin qui a proposé de faire une césarienne en arguant que cet acte était gratuit dans les hôpitaux publics. Cependant, il a ajouté que cette gratuité ne permettait pas à la patiente de bénéficier d’une meilleure prise en charge. Il lui a donc dit de venir dans sa clinique en s’acquittant des frais pour que sa femme puisse accoucher dans de bonnes conditions.

Même si, depuis 2005, la césarienne est officiellement gratuite dans les hôpitaux publics maliens, force est de constater que dans la pratique, de nombreuses femmes maliennes dénoncent les frais dont elles doivent s’acquitter après leur accouchement.

En effet, la communication autour de cette gratuité laisse à désirer alors que la fécondité est en constante augmentation depuis 2005. Par ailleurs, sont observés des cas récurrents de pénuries de certains médicaments qui composent les kits d’opérations dans les hôpitaux.

On peut citer aussi un autre cas regrettable concernant la personne d’Adam qui a perdu son bébé. Celle-ci raconte que lorsqu’elle s’est rendue à l’hôpital, le médecin qui l’a prise en charge l’a orientée directement vers une clinique privée. Il lui a donné l’adresse en lui expliquant que les moyens techniques adaptés à son intervention faisaient actuellement défaut au sein de l’hôpital public.

Elle s’est donc rendue dans cette clinique qu’elle a eu du mal à trouver, et malheureusement, une fois sur place, elle a constaté qu’elle avait perdu déjà beaucoup de sang en raison de complications. Le médecin a effectué immédiatement une intervention forcée, au cours de laquelle elle a perdu son bébé. Elle a appris plus tard que la directrice de cette clinique était la femme du médecin qui l’avait reçue la première fois.

À l’hôpital public de Sikasso, Fatoumata a conduit son père, très souffrant, au service des urgences, les larmes aux yeux, aux environs de 2 heures du matin. Cependant, ce n’est que vers 13 heures que le médecin est venu lui administrer les premiers soins. Finalement, son père n’a pas survécu et est décédé dans les bras du médecin.

Nous pouvons multiplier les exemples de ce type. Au Mali, la population a tendance à s’en remettre à la religion, qui occupe une place prépondérante dans notre société. Dans ce genre de situation, on entend couramment dire, pour atténuer la douleur des victimes : « C’est le destin » (dakan en langue bambara) .

Face à ce constat de plus en plus mal accepté par les malades et leurs familles, il nous semble important d’attirer l’attention des autorités compétentes sur cette réalité virulente afin que des mesures appropriées soient prises pour endiguer ce phénomène qui gangrène le milieu hospitalier malien.

Au Mali, nombreux sont les cas où des médecins ont causé la mort de patients ou compromis à jamais leur vie : amputations par erreur, décès maternels et/ou infantiles à cause de fausses couches, injection de sérum glucosé sans test préalable de diabète, etc.

Toutes ces personnes, lors de leur prise en charge, ont été victimes du système hospitalier malien du fait de la négligence coupable et assassine de ceux qui devaient pourtant leur offrir un service de qualité, conforme aux données acquises de la science. Dans ce contexte, il convient de s’interroger et de situer les responsabilités à tous les niveaux du service public hospitalier malien.

Des manquements sont ainsi constatés dans l’organisation et le fonctionnement du service hospitalier. En effet, les malades se retrouvent souvent abandonnés à même le sol de l’hôpital où ils ont été admis. Il arrive aussi fréquemment que des femmes, au moment de leur accouchement, fassent une chute ou tombent de leur lit d’hôpital.

Ces situations ne représentent que quelques exemples de carences au sein de la sphère hospitalière malienne. À cela s’ajoutent, de façon anonyme, des cas de personnes qui perdent la vie quotidiennement dans nos hôpitaux publics et cliniques privées, sans que cela ne crée un écho retentissant auprès de la population malienne.

Au Mali, la question des erreurs médicales demeure malheureusement taboue, même si leur impact est connu de tous. Malgré la permanence et l’existence tangible de ces faits, les autorités restent silencieuses et sourdes.

Beaucoup de malades gardent les séquelles d’une mauvaise qualité des soins et des négligences des praticiens. Dans leur très grande majorité, ils préfèrent garder le silence par manque de moyens mais également par peur de représailles et de menaces venant directement des médecins.

Cependant, l’article 10 de la charte du 6 octobre 20082 dispose clairement que « le malade a le droit d’accéder aux services hospitaliers convenables à son état ou à sa maladie ». Sur la base de ce principe, l’article 7 de ladite charte précise que « l’accès au service public hospitalier est garanti à tous et en particulier aux personnes les plus démunies ».

Impuissants, de nombreux malades et leurs proches souffrent silencieusement car ils ne savent pas vers qui se tourner lorsque surviennent ces drames ou ces tragédies. Ils ignorent le plus souvent qu’ils ont la possibilité et le droit de demander réparation et d’obtenir des dommages et intérêts au titre des préjudices subis, même si l’argent ne remplace pas une vie humaine.

Ces malades et leurs proches ignorent également qu’ils peuvent saisir la justice directement pour faire condamner à des peines d’emprisonnement les auteurs de ces manquements graves, lesquels sont pourtant formés et payés aux frais de l’État.

En effet, ce sont bien nos taxes et impôts qui sont utilisés pour assurer l’entretien de nos hôpitaux ainsi que du personnel soignant. Par conséquent, nous invitons ces malades ainsi que leurs proches à s’exprimer et à faire preuve de courage pour dénoncer avec énergie ce fléau qui envahit l’espace hospitalier malien.

Leur parole permettra de mettre en lumière ce phénomène mais également de stopper sa propagation dans l’ensemble du système de santé malien. Il s’agit pour nous de recommander et de promouvoir vivement la mise en œuvre effective des droits des malades et de leurs proches victimes des actions répréhensibles et des négligences d’agents de santé sans foi ni loi et qui ne respectent aucunement les devoirs auxquels ils sont soumis dans l’exercice de leur métier. L’absence de sanctions et de condamnations encourage particulièrement certains professionnels à piétiner sans vergogne le serment d’Hippocrate ainsi que les principes établis dans la charte du malade au sein des établissements hospitaliers du Mali.

Nos autorités, à travers leurs rares interventions sur le sujet, agitent la menace de sanctions qui prennent concrètement la forme d’une suspension, d’une radiation ou de poursuites pénales. Ce rappel nous semble utile pour dissuader ces personnes malfaisantes et représente un pas vers la justice afin de s’attaquer à l’impunité de façon générale.

Cependant, il reste encore un long chemin à effectuer pour prendre à bras-le-corps ce phénomène afin de limiter ou de réduire son impact. Il faudrait aussi préciser que ces actions pourraient contribuer inlassablement à la réparation des fautes commises par ces professionnels de santé indélicats, dans la mesure où leurs responsabilités seraient établies devant une juridiction digne de ce nom.

Les victimes et leurs ayants droit, au titre de cette action judiciaire, ressentiraient une sorte de soulagement, notamment en apprenant que ces individus, jugés coupables par la justice, seraient mis face à leurs actes en toute responsabilité. Toutefois, ces menaces de sanctions légales et légitimes, et parfois même indispensables, sont-elles suffisantes face à ce problème ?

La réponse est évidemment négative. Il faudrait envisager un remède beaucoup plus efficace en traitant le mal à la racine, c’est-à-dire trouver une solution permettant de diminuer ou d’endiguer considérablement l’apparition de ce genre de problème dans les établissements maliens.

Pour ce faire, il faudrait, le plus vite possible, conduire des campagnes de sensibilisation des professionnels, des acteurs, des malades et de leurs proches, mais également des associations afin de pouvoir les éduquer et les former aux mesures de renforcement des droits et devoirs à la fois des patients et du personnel de santé.

Pour cela, il suffirait déjà de mettre en place des formations professionnelles actualisées à l’endroit de nos professionnels de santé. Celles-ci doivent aussi être adaptées à l’évolution de la société malienne dans toute sa globalité et sur toute l’étendue du territoire national.

Le respect de la vie humaine et l’enseignement du droit médical et de la santé, sans oublier bien sûr l’éthique médicale, doivent être au cœur de la pratique de l’art médical dans notre pays. Tous ces principes relevant du droit médical et de la santé sont garantis par la Constitution malienne de 1992 (article 17). Ils figurent aussi dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 25) et la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (article 16), mais aussi dans de nombreux traités internationaux.

Nos autorités devront également chercher à renforcer davantage les principaux droits de nos professionnels de santé dans le cadre de l’exécution de leur noble mission. Il s’agit de créer des conditions idéales de travail et des moyens appropriés à cet effet. Pour leur permettre de travailler efficacement, l’État malien doit expressément mettre à disposition de nos professionnels de santé tous les moyens nécessaires et modernes dont ils ont besoin afin de pouvoir fournir un service de qualité.

Le service public hospitalier malien ne doit plus connaître de cas de négligence ou de délaissement de malades pendant leur séjour. Ceux-ci doivent recevoir des soins adaptés à leur état de santé, dans tous les hôpitaux et sur tout le territoire malien.

Les malades doivent à tout prix chercher à s’approprier davantage leurs droits afin de pouvoir les faire valoir tout au long du processus de soins. Pour cela, il convient de les éduquer afin qu’ils ne perçoivent plus le médecin comme un « petit dieu » qui leur évitera la mort s’ils se taisent et qui n’exécutera pas sa mission s’ils se permettent de lui poser des questions concernant les soins qui leur seront administrés.

Les patients maliens doivent prendre conscience du fait que le rapport qui les lie au soignant doit être équitable et juste, déterminé par un contrat de soins clair et efficace ; un contrat de nature médicale où les deux parties doivent se respecter réciproquement tout en honorant leurs obligations. Le médecin a comme obligation de soigner le malade selon les données acquises de la science, avec son consentement libre et éclairé. Le malade, quant à lui, doit exprimer clairement son consentement pour recevoir les soins qui lui sont destinés ou dispensés par le médecin.

Les hôpitaux maliens ne doivent plus être considérés comme des mouroirs où on rend l’âme mais plutôt comme des lieux de préservation de la vie humaine. La lutte contre l’impunité des auteurs de ces actes doit être le leitmotiv de nos autorités.

L’État doit, sans plus tarder, prendre le taureau par les cornes, notamment en adoptant des dispositions ou des sanctions fortes pour diminuer le nombre de cas de négligences et d’erreurs médicales qui causent la mort d’un nombre considérable de citoyens maliens. La cruauté du personnel médical doit être bannie de nos hôpitaux publics comme privés, pour le plus grand bonheur du peuple malien.

Auteur

Seydou Ballo. L’hôpital malien au bord du gouffre : et si on en parlait ?. Droit, Santé et Société [Journal de médecine légale, droit médical, victimologie, dommage corporel. Série E], 2023. ffhal04261763f

La source HAL science ouverte
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