Suspension du soutien américain : un réveil brutal, mais une opportunité pour l’Afrique

Dr Mohamed Ali Ag Ahmed, Cordinateur du réseau Afrique Francophone & Frangilité

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© Une contribution de : Mohamed Ali Ag Ahmed (Coordinateur du réseau Afrique Francophone et Fragilité (AFRAFRA), Chercheur à l’Institut Universitaire Sherpa, Professeur associé à l’Université de Montréal, Canada


Les États-Unis sont le principal contributeur de plusieurs organisations internationales travaillant sur la santé en Afrique, sans compter leurs programmes bilatéraux en la matière (ex : PEPFAR). La récente décision de l’administration Trump de suspendre le soutien à ces organisations représente donc un choc important dans le financement de la santé en Afrique, alors que la région fait déjà face à des défis structurels et des crises multidimensionnelles sans précédent (conflits armés, crises socio-politiques, climatiques, etc.). Face aux immenses besoins sanitaires des pays africains, ces organisations jouent un rôle crucial, notamment dans la gestion des crises et l’appui au système de santé publique.

La suspension de l’aide américaine, qu’elle soit bilatérale, multilatérale ou par le biais de contributions aux initiatives de santé mondiale (ISM), ainsi que le retrait du pays de l’OMS, pourraient donc exacerber les problèmes de santé publique en Afrique et mettre en péril les progrès déjà accomplis. Cela pourrait sérieusement compromettre la capacité de la région à lutter contre les maladies infectieuses telles que le paludisme, la tuberculose et le VIH/SIDA, dont le fardeau est immense.

Elle aurait également des répercussions sur les programmes de vaccination et de prévention, augmentant le risque d’épidémies dans les pays les plus vulnérables. Elle affaiblirait en outre les systèmes de distribution alimentaire et les initiatives visant à renforcer la résilience des communautés en cas de crise, ce qui aggraverait l’insécurité alimentaire. En outre, la suspension des contributions américaines intervient à un moment où l’aide au développement est déjà sous pression dans un certain nombre de pays donateurs traditionnels.

Dans ce contexte, il est clair que l’approche « America first » de l’administration Trump représente un réveil brutal pour l’Afrique. Le retour au statu quo antérieur semble plutôt improbable, et les pays africains doivent donc se mobiliser de toute urgence pour innover et repenser leurs systèmes de financement de la santé afin d’en assurer la pérennité. Que peuvent donc faire les pays africains ?

Tout d’abord, la mobilisation des ressources nationales doit être renforcée dès que possible, en améliorant les systèmes fiscaux et de gouvernance dans les pays africains. Une taxation plus efficace des sociétés minières florissantes et des grandes entreprises de tabac, d’alcool et de boissons non alcoolisées, ainsi que des taxes sur les billets d’avion, permettrait de générer des recettes supplémentaires pour financer les services de santé.

Nous devons tirer les leçons de l’expérience des pays africains qui ont mis en place ces sources de financement novatrices et les développer. Deuxièmement, même s’il ne s’agit certainement pas d’une panacée, les partenariats public-privé (PPP) dans le secteur des soins de santé peuvent constituer une autre alternative dans certains contextes pour compenser la diminution de l’aide américaine. Ils ont produit des résultats appréciables dans certains pays africains et méritent d’être développés davantage. Les fondations philanthropiques telles que la Fondation Bill & Melinda Gates ont également déjà démontré leur capacité à compléter le financement gouvernemental, en particulier dans le secteur de la santé, même si elles ne sont pas exemptes de critiques.

Troisièmement, la diversification des donateurs est essentielle pour réduire la dépendance à l’égard d’un seul pays donateur. Sur le continent, l’Union africaine et la Banque africaine de développement pourraient jouer un rôle central en facilitant les mécanismes de financement régionaux et en encourageant les contributions des pays émergents. Par exemple, ces institutions pourraient s’appuyer sur les mécanismes innovants de financement de la santé mis au point pendant la pandémie et peut-être même, à plus long terme, viser la création d’un fonds africain pour la santé.

Les pays émergents (Chine, Inde, BRICS, voire certains pays du Golfe) pourraient être mobilisés pour cofinancer les infrastructures médicales et les transferts de technologie afin de renforcer les capacités de production locales. Les contributions de la diaspora africaine et les taxes internationales sur les transactions financières ou la téléphonie mobile (par exemple) pourraient également contribuer à assurer un financement stable et prévisible de la santé.

En outre, un nombre beaucoup plus important de pays africains devraient également – enfin – atteindre l’objectif d’Abuja (15 % des budgets gouvernementaux alloués à la santé). Les nations africaines doivent également organiser et investir dans des mécanismes d’assurance afin de mettre en commun les ressources, de mieux financer le système de santé et de protéger les populations contre les dépenses catastrophiques. Enfin, le renforcement des mécanismes d’audit, la réduction des coûts administratifs inutiles et l’optimisation de la gestion des fonds garantiraient une utilisation plus efficace des ressources.

En résumé, la durabilité du financement des soins de santé en Afrique subsaharienne dépend de la diversification des sources de financement, d’une meilleure gouvernance et d’une coopération accrue entre les acteurs régionaux et internationaux. Toutes ces questions sont devenues urgentes.

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