Tribune: Une vaccination des enfants vivant en zone endémique contre le paludisme, pour quoi faire ?

L’ organisation mondiale de la santé vient d’homologuer le vaccin RTS,S pour vacciner les enfants de moins de cinq ans contre le paludisme, après un essai clinique dans 3 pays africains en 2019. Bien que les résultats des tests soient encourageants, ce déploiement suscite des questions d'ordre scientifique, éthique, financier et sociétal.

Cette tribune a été écrite par le Pr Ousmane KOITA, PharmD, PhD, Professeur titulaire en Parasitologie moléculaire

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Il y a près de 150 ans, en 1880[1], le plasmodium – l’agent responsable du paludisme – a été découvert. Cette infection parasitaire entraîne une destruction des globules rouges, entraînant une anémie et des bouchons dans les artères du cerveau qui peuvent causer le coma.

Les régions du monde les plus touchées par le paludisme sont celles où le moustique anophèle est présent, en particulier en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est, avec les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes considérés comme les groupes les plus à risque. Pour lutter contre cette maladie, il existe des classes d’antipaludiques ciblant les différents stades parasitaires, ainsi que des mesures préventives telles que l’utilisation de moustiquaires et de rideaux imprégnés d’insecticide.

Le vaccin…un défi

La mise au point d’un vaccin est considérée comme la meilleure approche, bien que cela soit un défi en raison de la diversité antigénique[2] du Plasmodium falciparum, qui possède un génome flexible et permet des recombinaisons. Cependant, malgré ces défis, le vaccin RTS,S/AS01 (RTS,S) a été homologué par l’OMS après des études multicentriques au Ghana, au Kenya et au Malawi[3], démontrant une efficacité d’environ 30%.

Depuis, un million d’enfants ont reçu une ou plusieurs doses de ce vaccin dans le cadre d’un programme pilote coordonné par l’OMS, réduisant considérablement les cas graves et mortels de paludisme[4]. Des résultats certes louables salutaires. Cependant, le problème réside dans le déploiement de ce vaccin en zone d’endémie palustre comme le Mali.

Le problème à multiple faciès qui se pose

Le vaccin RTS, S/AS01, développé depuis 19874, n’a été testé que dans trois pays africains en 2019. Malgré cela, l’Organisation mondiale de la santé recommande son intégration dans les services de routine de prévention du paludisme chez les enfants de moins de cinq ans, y compris dans les pays à transmission modérée et élevée. Cette proposition repose sur la conviction que les enfants de cette tranche d’âge sont les plus exposés au paludisme mortel, ce qui ne fait aucun doute.

Cependant, il est moins compréhensible de ne pas recommander ce vaccin aux populations vivant dans l’hémisphère nord, qui voyagent ou résident dans des zones d’endémie palustre. Il convient de souligner que les tests d’efficacité ont uniquement été effectués sur les enfants en zone d’endémie palustre en Afrique, ce qui soulève des questions d’ordre scientifique, éthique, financier et sociétal.

Sur le plan scientifique, il serait judicieux de tester l’innocuité et l’efficacité du vaccin chez les adultes vivant dans les zones d’endémie palustre, y compris les adultes de l’hémisphère nord qui sont plus exposés que les enfants africains. Cela serait facilement réalisable et les données seraient accessibles à la société civile, ce qui rassurerait les parents des enfants de moins de cinq ans quant à l’utilisation du vaccin.

Sur le plan éthique, il suffit de se rappeler que le refus de se faire vacciner contre le SARS-CoV-2 était l’apanage des adultes alors qu’au même moment les enfants restent soumis au programme élargi de vaccination (PEV) pour nécessité de santé publique. Il convient de noter que l’approche préconisée par l’OMS de l’introduction du vaccin ciblant les enfants de moins de 5 ans requiert une forte revue par nos différents comités nationaux d’éthique pour son approbation. Nous notons que l’approche préconisée par l’OMS de l’introduction du vaccin ciblant les enfants de moins de 5 ans, requiert une forte revue par nos différents comités nationaux d’éthique pour son approbation.

Et, le coût financier du déploiement du vaccin demande à mon sens une mobilisation assez accrue de fonds. Pour donner un exemple, un seul partenaire technique a contribué à hauteur de 15 milliards de francs CFA (environ 25 millions de dollars) pour la lutte contre le paludisme en 2022[5].

Des solutions endogènes

Bien que je ne sois pas opposé au déploiement du vaccin pour réduire la mortalité infantile due au paludisme, le fait de cibler directement les enfants nous pose problème.  Je préconise plutôt une approche plus endogène basée sur des évidences historiques et scientifiques réfléchies :

  1. Le traitement du paludisme simple en milieu familial, car chaque adulte a déjà connu au moins un épisode de paludisme pendant la saison des pluies. Les parents ont donc l’expérience nécessaire pour identifier une suspicion de paludisme, et cette suspicion sera confirmée par un test de diagnostic rapide (TDR) effectué par un membre de la famille après une courte formation. Nous appelons les autorités politiques et sanitaires à soutenir la production locale de ces TDR pour qu’ils soient disponibles dans nos familles. En suivant le schéma thérapeutique national, les familles pourront traiter les cas positifs et ainsi contribuer à la lutte contre le paludisme en adhérant ainsi à la tryptique ¨dépister-diagnostiquer-traiter.
  2. Sur le plan communautaire, il conviendrait de rehausser le niveau du plateau technique et de réorganiser la configuration de nos Centres de Santé Communautaire (CSCom) afin de leur permettre de prendre en charge efficacement les cas graves de paludisme, tels que l’anémie sévère, les convulsions et le coma. Cette initiative implique la formation des professionnels de santé à la prise en charge normalisée de ces cas, avec des équipements appropriés. La stratégie pourrait soulager les services de pédiatrie des Centres de Santé de Référence (CSRéf) et des hôpitaux régionaux.
  3. Et enfin, ces 2 préconisations seront toujours associées aux mesures de lutte contre le paludisme selon les directives de l’OMS au Mali, notamment l’utilisation des moustiquaires imprégnées d’insecticides, la campagne de chimioprévention du paludisme saisonnier (CPS), le traitement intermittent présomptif du paludisme chez la femme enceinte et probablement la pulvérisation intradomiciliaire (PID) et la gestion des gîtes larvaires par les larvicides.

En fin de compte, nous ne sommes pas contre le vaccin, loin de là. Cependant, nous pensons que le vaccin devrait être testé sur les populations adultes non immunisées (individus naïfs) qui sont susceptibles de se rendre dans des zones d’endémie palustre, ainsi que sur les populations adultes semi-immunisées vivant dans des zones d’endémie palustre. Cela permettrait de s’assurer sur le plan éthique que nous avons le droit de vacciner les enfants de moins de 5 ans, faute d’avoir leur consentement. Nous avons besoin d’un engagement politique de haut niveau et de la disponibilité des acteurs de la santé pour y parvenir.

 

Références

[1] Laveran A.  Un nouveau parasite trouvé dans le sang de malades atteints de fièvre palustre. Origine parasitaire des accidents de l’impaludisme.  Bull Mém Soc Méd Hôpitaux Paris, 2e série, vol. 17,‎ 1880, p. 158-164

[2] Colborn JM, Byrd BD, Koita OA, Krogstad DJ.  Estimation of copy number using SYBR Green: confounding by AT-rich DNA and by variation in amplicon length. Am J Trop Med Hyg. 2008 Dec;79(6):887-92.

[3] Matthew B Laurens. RTS, S/AS01 vaccine (Mosquirix™): an overview. Hum Vaccin Immunother, 2020 Mar 3;16 (3):480-489

[4] Paludisme : l’OMS recommande l’utilisation à grande échelle du premier vaccin antipaludique au monde | ONU Info (un.org)

[5] Malijet Communiqué de presse : Journée mondiale de lutte contre le paludisme : Les États-Unis et le Mali s’associent pour vaincre le paludisme Bamako Mali

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Cette tribune a été rédigée  par le Pr Ousmane KOITA, PharmD, PhD, Professeur titulaire en Parasitologie moléculaire. Cet article a été approuvé pour publication par la rédactrice en cheffe de Sciences de chez Nous, Fatimatou Diallo. 

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