Comment le changement climatique propage le paludisme en Afrique
Les experts sont formels, les catastrophes météorologiques en Afrique, comme en a connu récemment le Malawi, ont fait bondir les cas de paludisme.
Le paludisme, dont c’est, ce mardi 25 avril, la journée mondiale, reste une maladie redoutable en Afrique malgré l’arrivée de vaccins, à cause notamment d’une résistance croissante aux traitements, selon l’Organisation mondiale de la santé. Mais pas seulement. Les catastrophes météorologiques, comme le cyclone Freddy qui a récemment frappé le Malawi, ont fait bondir les cas de paludisme, alertent les experts. En effet, l’augmentation des précipitations augmente potentiellement le nombre de sites de reproduction des moustiques vecteurs, comme ceux qui transmettent le paludisme, qui se reproduisent dans les plans d’eau stagnants et temporaires.
Peter Sand, le directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme – qui fournit 63 % de tous les financements internationaux destinés aux programmes de lutte contre le paludisme – indiquait fin 2022 que certaines parties de l’Afrique qui n’étaient pas touchées par le paludisme étaient désormais à risque, car les températures augmentent et permettent aux moustiques de prospérer, notamment en altitude. Or, la population de ces régions ne sera pas immunisée, d’où le risque d’un taux de mortalité plus élevé.
Le changement climatique pourrait faciliter la propagation du paludisme par les moustiques
Des chercheurs ont planché sur les mouvements des moustiques dans une récente étude publiée dans la revue Biology Letters et qui offre un aperçu de ce qui nous attend dans l’avenir en traçant une rétrospective à partir des données remontant à 1898. Il en ressort que les moustiques qui transmettent le paludisme en Afrique subsaharienne se sont déplacés vers des altitudes plus élevées d’environ 6,5 mètres et loin de l’équateur de 4,7 kilomètres par an au cours du siècle dernier. Un rythme qui correspond à l’accélération du changement climatique dans ces zones et peut expliquer pourquoi le paludisme s’est étendue au cours des dernières décennies, ont déclaré les chercheurs de l’université de Georgetown. Ces derniers avertissent que ces résultats ont de graves implications pour les pays qui ne sont pas préparés à faire face à la maladie.
Au Malawi, le cyclone Freddy en mars – qui a provoqué l’équivalent de six mois de précipitations dans le petit pays d’Afrique de l’Est – a lui aussi été à l’origine d’une hausse des cas de paludisme, précise Peter Sands lors d’un récent entretien à l’AFP. « Ce que nous avons vu dans des endroits comme le Pakistan ou le Malawi constitue une preuve réelle des conséquences qu’a le changement climatique sur le paludisme », a-t-il estimé dans un tout récent entretien à l’AFP. « Vous avez ces événements météorologiques extrêmes, que ce soit des inondations au Pakistan ou un cyclone au Malawi, après lesquels beaucoup d’eau stagne sur place ». « Nous avons observé une hausse très nette des infections et des décès liés au paludisme dans les deux cas », explique-t-il à l’occasion de la Journée mondiale du paludisme, le 25 avril, qui permet d’habitude de « célébrer les progrès que nous avons faits ». Mais cette année, « il faut tirer la sonnette d’alarme, affirme-t-il. Si le paludisme empire en raison du changement climatique, il faut agir maintenant pour faire reculer (la maladie) et l’éliminer ». Au Pakistan comme au Malawi, les mares d’eau laissées après le retrait des eaux sont un terrain de reproduction idéal pour les moustiques porteurs de la maladie.
Cependant, si l’impact du changement climatique sur les moustiques est plutôt très clair, son impact sur la transmission du paludisme n’est pas encore suffisamment documenté.
Des progrès mais les freins persistent
Peter Sands souligne qu’il y a eu des progrès dans la lutte contre le paludisme mais rappelle qu’un enfant meurt de la maladie chaque minute. En 2021, l’OMS estimait à 247 millions le nombre de cas dans le monde (chiffre en hausse par rapport à l’année précédente (245 millions). Quelque 619 000 personnes sont mortes du paludisme cette année-là.
L’immense majorité des cas (95 %) et des décès (96 %) surviennent en Afrique : cette région continue de « supporter une part importante et disproportionnée de la charge mondiale du paludisme », déplore l’OMS. Plus de la moitié de tous les décès par malaria dans le monde se concentrent dans quatre pays africains : le Nigeria (31,3 %), la République démocratique du Congo (12,6 %), la Tanzanie (4,1 %) et le Niger (3,9 %). Les victimes les plus nombreuses sont parmi les enfants de moins de cinq ans : en Afrique cette catégorie concentre 80 % des décès.
L’apparition en Afrique d’un nouveau moustique, Anopheles stephensi, en provenance d’Asie et de Péninsule arabique, fait peser une menace supplémentaire sur la lutte contre le paludisme en Afrique. Cet insecte, maintenant présent au Soudan, en Éthiopie, en Somalie et au Nigeria, est adapté au milieu urbain et résiste à bon nombre d’insecticides utilisés actuellement. Or l’utilisation des moustiquaires imprégnées d’insecticides était jusqu’à présent le principal mode de lutte préventive contre la maladie. D’ici à 2030, l’OMS espère réduire d’au moins 90 % la mortalité par malaria. Depuis 2015, une dizaine de pays ont été officiellement déclarés exempts de paludisme, parmi lesquels l’Argentine (en 2019), l’Algérie (2019) et la Chine (2021).
Des vaccins, oui, mais pas de « solution magique »
Dans ce sillage, l’année dernière, plus d’un million d’enfants au Ghana, au Kenya et au Malawi ont reçu un premier vaccin antipaludique, le RTS, S, développé par le géant pharmaceutique britannique GSK.
Un autre vaccin, R21/Matrix-M, développé par des scientifiques de l’Université d’Oxford, a reçu mi-avril le feu vert des autorités ghanéennes pour être utilisé dans ce pays, une première pour ce vaccin qui suscite beaucoup d’espoir.
Mais pour Peter Sands, les vaccins ne sont pas « une solution magique », notamment en raison de leur coût et de la difficulté d’un déploiement à grande échelle.
Les personnes les plus vulnérables au paludisme sont les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes. Les décès sont en grande partie dus à un diagnostic et à un traitement tardifs. « Il s’agit surtout d’avoir les infrastructures pour diagnostiquer et fournir des traitements […], ce qui signifie qu’il vous faut des soignants dans chaque village qui ont les outils pour tester et traiter la maladie », selon M. Sands.
D’après lui, les pays les plus menacés par le changement climatique sont aussi ceux qui souffrent le plus du paludisme, avec des infrastructures fragiles qui peuvent être détruites facilement lors de catastrophes naturelles. « Nous sommes donc très préoccupés par le fait que les pays dans lesquels le paludisme est le plus répandu sont également ceux qui risquent le plus d’être touchés par les phénomènes météorologiques extrêmes engendrés par le changement climatique », insiste Peter Sands.
Avec LePoint