Médecine traditionnelle, jusqu’où peut aller le journaliste scientifique ?

Utilisée par près de 80 % de la population africaine selon l’Organisation mondiale de la santé, la médecine traditionnelle occupe une place centrale dans les pratiques de soins sur le continent. Pourtant, la grande majorité de ses remèdes n’a jamais fait l’objet d’essais cliniques robustes. Cette contradiction place le journaliste scientifique dans une position délicate. Doit-il ignorer des pratiques massivement utilisées ou en parler sans leur accorder une légitimité scientifique qu’elles n’ont pas ?

Cette interrogation était au cœur d’une session organisée en marge de la 13ᵉ Conférence mondiale des journalistes scientifiques, tenue du 1ᵉʳ au 5 décembre à Pretoria, en Afrique du Sud. Les échanges couverts par Sciences de chez Nous ont porté à la fois sur la place de la médecine traditionnelle dans le champ scientifique et sur les limites professionnelles que le journaliste ne peut se permettre de franchir.

Quand la tradition se heurte à la preuve

Pour la professeure Amel Bouzabata, spécialiste en pharmacognosie à l’Université Badji Mokhtar en Algérie, la médecine traditionnelle n’est pas incompatible avec la science, à condition d’accepter les mêmes exigences méthodologiques. Elle plaide pour une reconnaissance officielle assortie d’une réglementation stricte des plantes médicinales.

Pr Amel Bouzabata, spécialiste en pharmacognosie à l’Université Badji Mokhtar en Algérie. Crédit : DSTIGOVZA

Elle rappelle que certaines pratiques issues de la tradition ont trouvé leur place dans la médecine moderne, mais uniquement après validation scientifique. « L’aspirine, dérivée de l’écorce de saule blanc, ou l’artémisinine en sont des exemples. Cette molécule antipaludique, identifiée à partir de textes médicaux chinois anciens, n’est devenue un traitement de référence qu’après un long travail expérimental mené par la chercheuse Tu Youyou ».

« Ces exemples, poursuit  Amel Bouzabata, montrent que des savoirs traditionnels peuvent nourrir la recherche contemporaine, mais seulement lorsqu’ils sont testés, standardisés et validés. Sans ce passage par la preuve, ils restent en dehors du champ scientifique. »

Dans la même logique, le médecin turc Kanat Tayfun, évoque dans une note publiée par l’OMS, une possible complémentarité entre certaines thérapies traditionnelles et la médecine moderne. Cette complémentarité suppose toutefois « un encadrement strict », car « en l’absence de preuves cliniques, les risques de dérives et de mise en danger des patients demeurent élevés ».

Une étude  scientifique publiée en septembre 2025 montre que l’intégration de la  médecine traditionnelle dans les systèmes modernes peut améliorer l’accès aux soins, surtout dans les régions où les ressources sont limitées. Mais « uniquement si ces pratiques sont évaluées, réglementées et standardisées ».

le journaliste doit se limiter à la description de ce qu’il observe, sans chercher à expliquer des techniques qu’il ne maîtrise pas »| François Bingono-Bingono 

Informer sans légitimer

Sur le terrain journalistique, un consensus minimal s’est dégagé. Le rôle du journaliste scientifique n’est ni de valider ni de discréditer la médecine traditionnelle, mais de rapporter les faits avec rigueur.

Selon l’anthropologue François Bingono-Bingono, porte-parole des guérisseurs traditionnels au Cameroun, « le journaliste doit se limiter à la description de ce qu’il observe, sans chercher à expliquer des techniques qu’il ne maîtrise pas. » La compréhension interne de ces pratiques relève des praticiens eux-mêmes.

Cette approche est partagée par Julien Chongwang, journaliste scientifique camerounais et rédacteur en chef adjoint de SciDev.Net pour l’édition française. Pour lui, « l’absence de preuves ne justifie pas le silence médiatique. » Autrement dit, le silence médiatique n’est pas une solution face à une situation préoccupante. Les journalistes ont le devoir d’informer, d’alerter et de contextualiser, même lorsqu’il reste des zones d’incertitude.

En revanche, cette façon de traiter l’information oblige les journalistes à être très rigoureux , écouter différents points de vue, expliquer clairement ce qu’on ne sait pas encore, et éviter de tirer des conclusions trop rapides.

« Pour le journaliste scientifique, cela signifie ne jamais présenter une pratique comme scientifiquement fondée lorsqu’elle ne l’est pas », appuie la professeure Bouzabata.

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Cet article a été écrit par Ruth Kutemba

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