Sous nos pieds, dans la terre forestière, s’étend une toile vivante d’une complexité stupéfiante. Des milliards de filaments de champignons microscopiques, appelés mycorhizes, relient les racines des arbres entre eux. Ces filaments fonctionnent comme des câbles de communication biologique : ils transportent des nutriments, de l’eau, mais aussi des signaux chimiques.
Des études comme celle publiée dans Nature en 1997 par Suzanne Simard ont montré que des arbres de différentes espèces, comme le bouleau et le sapin de Douglas, peuvent échanger du carbone via ces réseaux fongiques.
Les scientifiques ont découvert que les arbres utilisent ce réseau pour échanger des informations. Par exemple, un arbre attaqué par des insectes peut envoyer, via ses racines et les mycorhizes, des signaux d’alerte à ses voisins, qui réagissent alors en produisant des substances chimiques défensives. Ce phénomène a été confirmé par une étude publiée en 2013 montrant que des signaux passent par les réseaux mycorhiziens pour avertir les plantes voisines d’une attaque d’insectes.
Loin d’être un simple regroupement d’arbres indépendants, la forêt apparaît donc comme un super-organisme capable d’interactions complexes, où la survie de chacun dépend de la coopération du tout.
Des “arbres mères” qui veillent sur leurs voisins
L’une des figures centrales de ce réseau forestier est ce que les chercheurs appellent les “arbres mères”. Ces individus matures, souvent situés au cœur des forêts, sont connectés à des centaines d’autres par les réseaux mycorhiziens, jouant un rôle de véritables centres de distribution d’énergie et de nutriments. Des travaux de Suzanne Simard et de son équipe à l’Université de la Colombie-Britannique ont montré que des arbres adultes peuvent transférer du carbone à des jeunes plants ombragés, améliorant ainsi leurs chances de survie.
Mais le Wood Wide Web ne se limite pas à la solidarité. Certaines plantes, comme le noyer, libèrent dans le sol des composés chimiques qui inhibent la croissance des espèces voisines — un phénomène appelé allélopathie. Ainsi, coopération et compétition coexistent sous la surface, reflétant l’équilibre subtil du vivant.
Un langage chimique encore largement mystérieux
Si l’existence du réseau est désormais confirmée, son fonctionnement précis reste en grande partie mystérieux. Quels types de signaux sont échangés ? Dans quelles conditions ?
Des études récentes montrent que les signaux chimiques peuvent influencer le comportement des arbres sur plusieurs mètres, voire des dizaines de mètres. Certains chercheurs pensent même que ces interactions pourraient aider les forêts à mieux résister au changement climatique, en redistribuant les ressources vers les zones les plus vulnérables.
Toutefois, d’autres scientifiques appellent à la prudence : parler de “langage” ou de “communication” pourrait surestimer la conscience de ces échanges. Il s’agit d’un système biochimique sans intention, mais d’une infrastructure écologique d’une efficacité fascinante.
Ce que le Wood Wide Web change dans notre rapport à la nature
Cette découverte scientifique dépasse la seule biologie. Elle change notre regard sur la nature, longtemps perçue comme un ensemble d’êtres en compétition permanente. Le Wood Wide Web révèle au contraire que la coopération est un moteur essentiel du vivant. Chaque arbre participe à un équilibre collectif dont dépend la survie de tous.
Pour les forestiers, cette compréhension nouvelle pourrait inspirer des modes de gestion plus respectueux. Plutôt que de couper sélectivement les “vieux” arbres, souvent perçus comme moins productifs, il faudrait peut-être les considérer comme les gardiens du réseau. Les préserver, c’est maintenir la santé de la forêt entière.
Finalement, si les forêts “parlent”, c’est à nous de réapprendre à les écouter. Et peut-être à comprendre que la nature, sous ses apparences silencieuses, tisse depuis toujours le dialogue le plus ancien et le plus vital du monde.
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Cet article a été publié par Sciencepost et repris par Sciences de chez Nous .
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