Dans un monde où la confiance envers la science faiblit à mesure que les malversations sont exposées, une session consacrée aux fautes professionnelles en science a réuni des spécialistes des enquêtes scientifiques et des journalistes d’investigation, en marge de la13ᵉ édition de la Conférence mondiale des journalistes scientifiques (WCSJ), organisée au CSIR International Convention Centre à Pretoria.
Sous le thème : « Tricheries, enquêteurs et journalistes : comment couvrir les fautes professionnelles en science », cette session a rassemblé l’investigateur suédois Lonni Besançon, le journaliste d’investigation américain Charles Piller, et le président de l’Association des journalistes scientifiques d’Australie, Jackson Ryan.
Fraudes massives, publications bâclées et effets domino : l’alerte de Lonni Besançon
Très attendu, Lonni Besançon, rédacteur en chef du Journal of Visualization and Interaction a livré une analyse profonde des dérives scientifiques mises en lumière au cours de ses travaux. Pendant la pandémie de coronavirus, « j’ai trouvé plus de 200 papiers publiés en une journée , un symptôme préoccupant d’un système de relecture par les pairs réduit à une journée ou moins, alors qu’il devrait prendre des semaines ou des mois ». Explique-t-il.
Pour M. Lonni Besançon la rapidité extrême de publication, combinée à des méthodologies fragiles, a favorisé l’explosion d’études peu fiables, dont certaines ont pourtant influencé des décisions publiques majeures.
Le spécialiste en visualisation de données à l’Université de Linköping en Suède, est également revenu sur le cas très médiatisé de l’hydroxychloroquine, au cœur des travaux de Didier Raoult. Il rappelle que « la majorité de ses papiers n’étaient pas très carrés méthodologiquement et que le premier article phare sur le sujet a été rétracté l’année dernière pour des problèmes méthodologiques, mais aussi éthiques ». L’un des faits les plus saisissants : un numéro d’approbation éthique (« FX Approval Number ») réutilisé plus de 200 fois dans des études différentes.
À ce jour, souligne-t-il, « on est à bientôt 60 études rétractées pour l’Institut, dont 47 pour Didier Raoult qui avait selon lui le meilleur CV académique de l’histoire en tant que professeur de virologie et d’épidémiologie».
Il insiste sur la portée internationale du problème : « Il a beaucoup travaillé en Afrique francophone, d’où provenaient de nombreux échantillons utilisés dans ses études. C’était important d’en parler. »
Vérifier, contextualiser, consulter : les conseils de Besançon aux journalistes
Interrogé par Science de Chez Nous sur les bonnes pratiques journalistiques pour traiter la fraude scientifique, Lonni Besançon recommande une approche très rigoureuse :
- Examiner les antécédents des auteurs : « Vérifiez si ces auteurs ont déjà des problèmes documentés sur Retraction Watch ou ailleurs. » ;
- Consulter les publications critiques existantes, de plus en plus nombreuses ;
- Toujours demander l’avis de scientifiques du domaine : « Les chiffres, les affiliations, ne disent pas tout. Il faut valider avec des experts externes. ».
Il insiste également sur la responsabilité partagée entre journalistes et chercheurs :
« Il n’y a pas que les journalistes qui font du mauvais travail… Les scientifiques ne donnent pas assez de leur temps pour expliquer leurs travaux. »
Pour améliorer la collaboration, il propose un geste simple mais souvent oublié : informer les universités après publication, afin de valoriser le temps offert par leurs chercheurs et encourager une meilleure disponibilité future.
Jackson Ryan : construire des outils pour éviter la crise de confiance
Jackson Ryan, président de l’Association des journalistes scientifiques d’Australie, a apporté une contribution essentielle lors de cette session en présentant l’outil qu’il développe pour faciliter la couverture des erreurs scientifiques.
Fort de cinq ans d’enquêtes en Australie, il décrit un environnement « très difficile », marqué par les risques juridiques et les investigations longues. Pour permettre aux journalistes d’entrer dans ce domaine « avec plus de ressources », Ryan identifie deux besoins :
- Créer une base de données permettant d’évaluer rapidement la fiabilité d’une étude.
- Former les journalistes, scientifiques comme généralistes, aux meilleures pratiques pour couvrir les erreurs scientifiques.
Il avertit : « Si nous couvrons mal ces erreurs, le public peut se dire : “Pourquoi devrais-je encore faire confiance à la science ?” Donc nous devons être très prudents que lorsqu’on rapporte des erreurs scientifiques, nous construisons notre confiance en la science plutôt que de le réduire. » Confie-t-il.
L’objectif n’est donc pas de fragiliser la science, mais au contraire de renforcer la confiance en montrant comment la communauté identifie et corrige ses propres dérives.
Charles Piller : quand la fraude nuit aux patients
Le journaliste d’investigation pour la revue Science. Charles Piller, a présenté un volet crucial : les conséquences concrètes des manipulations d’images et de données dans la recherche biomédicale. Il explique comment certaines pratiques frauduleuses : brouillent la compréhension scientifique, polluent durablement la littérature et peuvent même mettre en danger les patients, notamment dans le développement de médicaments reposant sur des données falsifiées.
Charles Piller s’appuie sur son récent livre, Docteur : Fraude, Arrogance et Tragédie dans la mission de cure de l’Alzheimer, pour illustrer l’ampleur du problème. Selon lui, ces dérives ont « dramatiquement affecté la compréhension des mécanismes de l’Alzheimer » et potentiellement retardé des pistes thérapeutiques cruciales.
Sa mission, dit-il, est de « mettre en lumière ces sujets » et d’inciter les institutions à exercer une véritable responsabilité dans la surveillance de l’intégrité scientifique.
Cette session modérée par Martin Enserink basé à Amsterdam et rédacteur adjoint à la revue Science à a rappelé que la fraude scientifique, loin d’être anecdotique, constitue un défi majeur pour la recherche. Les panélistes ont souligné un besoin urgent : renforcer les collaborations entre journalistes, scientifiques et institutions, afin d’exposer les dérives sans affaiblir la confiance du public envers la démarche scientifique.
Ruth Kutemba