« Je ne comprends plus les mots » : quand le bruit des mines menace la santé mentale des travailleurs maliens​

Une étude menée dans une société minière au Mali révèle que l’exposition au bruit met gravement en danger la santé des travailleurs, de la surdité professionnelle à la détresse psychique, dans un pays déjà fragile en matière de santé mentale. 

La thèse, soutenue en 2024 à l’Université des sciences, des techniques et des technologies de Bamako, repose sur une étude menée au sein d’une société minière. Elle a évalué les nuisances sonores chez les employés, avec un objectif clair : mesurer la surdité liée au bruit et caractériser les travailleurs les plus exposés.

L’auteur, Mahamadou Doumbia, spécialiste en ORL (oto-rhino-laryngologie), dresse un constat alarmant. « De nombreux employés travaillent depuis plus de cinq ans dans des environnements à forte nuisance sonore, souvent sans protection adéquate. Cette exposition prolongée entraîne une surdité professionnelle avérée ainsi que des symptômes extra-auditifs, notamment des céphalées, des troubles de la concentration et de l’irritabilité », explique-t-il.

Quand le bruit change la vie

Sur les 119 travailleurs suivis dans l’étude, plus de sept travailleurs sur dix (71%) sont exposés au bruit de manière continue, jour après jour, sans réelle échappatoire.  Sur le plan psychologique, le premier signal d’alarme est le stress : il est cité par près d’un travailleur sur trois (29,5%).

Dans un témoignage recueilli sous couvert d’anonymat, Sydi, conducteur d’engins lourds dans une mine, raconte à Sciences de chez Nous comment l’exposition au bruit a progressivement affecté son audition. « Au début, je pensais que les gens parlaient trop bas. Aujourd’hui, lors des réunions, je vois les lèvres bouger, je sais que les gens rient, mais je ne comprends plus bien les mots. C’est comme s’il y avait un voile. J’ai honte de demander qu’on répète sans cesse. »

Plus inquiétant encore, les tests audiométriques de l’étude montrent que 31% des travailleurs présentent déjà un déficit auditif, surtout sur les fréquences aiguës. « Autrement dit, près d’un tiers du personnel a commencé à perdre l’ouïe sans toujours s’en rendre compte », explique Doumbia.

Si le mémoire se concentre principalement sur l’audition, ces résultats s’inscrivent dans un corpus scientifique plus large montrant que le bruit chronique affecte également la santé mentale.

Selon une étude publiée dans Nature intitulée « Noise and mental health: evidence, mechanisms, and consequences », le bruit intense ou répété active en continu le système de stress, avec une sécrétion de cortisol et d’adrénaline qui, à long terme, favorise fatigue mentale, anxiété, troubles de l’humeur et hypertension artérielle. 

« L’exposition chronique au bruit environnemental augmente le risque de dépression, de troubles anxieux et de troubles du sommeil via des mécanismes neurobiologiques (hyperactivation de l’axe du stress, inflammation, perturbation du sommeil). » 

Les lignes directrices de l’Organisation mondiale de la santé recommandent de limiter le bruit nocturne autour de 40 décibels (dB) afin de protéger le sommeil et la santé mentale. Cette recommandation s’appuie sur de nombreuses études montrant que le bruit du trafic, même à des niveaux modérés, perturbe le repos et accroît les risques psychiques et cardiovasculaires.

Un contexte malien particulièrement vulnérable

Au Mali, les observations faites prennent une dimension particulière. D’une part, le pays connaît une forte activité minière et une urbanisation rapide, avec des expositions cumulées au bruit en milieu de travail et en ville. D’autre part, le système de santé mentale reste sous-doté. 

Une étude hospitalière conduite au CHU du Point G souligne la charge croissante de troubles psychiatriques dans un contexte de ressources limitées, tandis que des reportages évoquent un manque de centres spécialisés et une prise en charge très insuffisante des troubles psychiques.​

La loi existe… mais la réalité diverge

Au Mali, la loi n°2021 − 032 du 24 mai 2021 relative aux pollutions et aux nuisances interdit explicitement les bruits susceptibles de nuire au repos, à la tranquillité, à la santé ou à l’environnement. Pourtant, entre ce cadre légal et la réalité des sites miniers, des ateliers industriels et des grandes artères de Bamako, l’écart reste massif. 

Dans son étude, Mahamadou Doumbia constate l’insuffisance des mesures de protection et appelle « à un renforcement effectif de la prévention : port systématique de protections auditives, contrôle régulier des niveaux sonores, dépistage précoce des atteintes auditives. »  

 

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Cet article a été écrit par Aïchata Tigana.

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