À Adiaké, à 95 km d’Abidjan, les anciens se souviennent avec nostalgie de l’époque où chaque matin, « les rives de la lagune Aby étaient pleines de vie ». Les cris des pêcheurs résonnaient, « les filets débordaient », et l’odeur fraîche du poisson annonçait une journée prospère. Aujourd’hui, ce décor a disparu.
« Avant, les poissons d’eau douce remplissaient le marché », se souvient encore Françoise, la cinquantaine, vendeuse de poisson. « Mais aujourd’hui, on n’en trouve presque plus. » Ses mots tombent comme des pierres. Son regard se perd sur les étals presque vides où ne subsistent que quelques maigres tilapias, vestiges d’un passé révolu. Elle baisse la voix, comme pour cacher une honte qui n’est pas la sienne : « Ça fait cinq ans que le poisson se fait rare… Avant, les gens venaient de partout pour acheter ici, à Adiaké. Maintenant, on est obligés d’aller jusqu’à Samoa, Bonoua ou Yaou pour trouver de quoi vendre. »
Ce constat amer de Françoise n’est pas qu’un simple cri du cœur, il est confirmé par des chercheurs. Selon une étude de Jonathan Ahoulou, publiée en janvier 2025, la lagune Aby voit ses poissons disparaître à grande vitesse. Entre 2020-2021 et 2021-2022, les pêcheurs ont ramené près de deux fois moins de poissons dans les zones à accès libre. Une chute qui menace directement la sécurité alimentaire des communautés. C’est ce que confirme un témoignage d’une autre commerçante interrogée par Sciences de chez Nous. « Le poisson est devenu aujourd’hui un luxe. On ne peut plus rien payer, les clients se plaignent, et les pêcheurs n’ont presque plus de quoi vivre », explique Affoué.
Pourtant, le paradoxe est glaçant. Pendant que la population s’inquiète de la disparition du poisson, une partie d’entre elle accélère la destruction de son propre milieu de vie. Lors d’une interview avec Sciences de chez Nous, le colonel Dan Jules, chef du Parc national des îles Ehotilé, a déclaré que « certains pêcheurs utilisent des produits chimiques et des pesticides pour capturer le poisson. C’est destructeur pour tout l’écosystème. »
En effet, derrière cette pratique illégale se cache une réalité plus inquiétante. « L’usage de substances hautement toxiques comme le Thiodan, le Gamarine ou le Gramoxone. » Conçus à l’origine pour traiter le café, le cacao ou les orangers, ces pesticides se transforment, une fois déversés dans l’eau, en armes chimiques. Ils exterminent les poissons, stérilisent les fonds lagunaires et infiltrent la chaîne alimentaire et créent des troubles neurologiques, des affections respiratoires, et des atteintes graves aux organes vitaux chez les êtres humains.
Le mercure, l’autre poison
La raréfaction du poisson dans la lagune Aby ne résulte pas uniquement de la surpêche. Les rivières qui alimentent la lagune transportent des boues saturées de métaux lourds, issues de l’orpaillage artisanal non contrôlé.
Des analyses menées par des chercheurs révèlent des concentrations élevées de mercure, d’arsenic et de sélénium dans les sédiments et les poissons. Selon une étude publiée sur ResearchGate, la lagune Aby présente une concentration moyenne de 0,70 ± 0,18 mg de mercure par kilogramme.
Sur certains sites, les niveaux enregistrés dépassent les 4 mg/kg, signe d’une pollution sévère et localisée. « Ces résultats confirment une contamination durable des fonds lagunaires, avec des risques directs pour la faune aquatique et la santé des populations qui dépendent de ces eaux pour se nourrir », alertent les chercheurs.
Ce qui était autrefois un patrimoine naturel et une source de vie devient peu à peu un réceptacle de déchets toxiques.
Dans leurs publications, les chercheurs plaident désormais pour une gestion intégrée et urgente du littoral. Ils appellent à une coopération inédite entre la communauté scientifique, l’État et les populations locales.
Leurs recommandations sont claires. Il faut mettre en œuvre un plan d’action concret comprenant le contrôle de la pêche illégale, la restauration des mangroves, une surveillance stricte des rejets miniers et la création de nouvelles zones de repos biologique pour permettre aux stocks de poissons de se reconstituer.
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Cet article a été écrit par Abdoulaye Konimba Konaté , Correspondant de Sciences de chez Nous en Côte d’Ivoire.
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